FB CDC#14 - Au pays des Samouraïs

Lorna observa le nouveau venu avec curiosité mais son attention se reporta dans la direction du rire qu'ils avaient entendu. Elle avait l'étrange sensation que l'animal n'était pas une simple bête... Mais c'était complétement fou. Enfin, ce n'était pas comme si c'était impossible... Lors de leur dernière mission, ils avaient bien rencontré une fée qui voulait un baiser de Magnus...

— Je vous retrouve là-haut, fit Jiguro après que Tsukiko eut expliqué qui étaient ses invitées. Je dois mettre la main sur deux petits crétins et leur montrer qui est le patron ici. Ils vont me rendre chèvre ! Je les ai torchés, mouchés et j'en passe et voilà comment je suis remercié ! J'aurai dû les abandonner dans la montagne, oui !
— Mais oui, mais oui. Allez, en route.

Elle lui colla son panier entre les mains et le poussa vers le haut des escaliers.

— Je t'ai amené de la pâte de haricots rouges pour compenser ta brioche perdue.

Il écarta grand les yeux et se rapprocha d'elle.

— Pas si fort ! S'ils entendent, ils vont aussi me la piquer !

Du coup, il agrippa un peu plus le panier.

— Venez voir le temple. Que vous n'ayez pas grimpé toutes ses marches pour rien, fit-il à Lorna et Ingrid.

Il les dévisagea encore et maugréa quelque chose d'incompréhensible, même pour Tsukiko. Le rêve de cette nuit était donc prémonitoire et il ne savait pas encore si c'était une bonne chose ou pas.

Ingrid soupira de soulagement. Elle n'était pas contre pouvoir s'assoir et souffler un peu avant de se lancer dans le chemin du retour.

— Quel âge ont les garnements que vous avez évoqué ? Demanda Lorna.

Jiguro se tourna vers elle pour lui répondre.

— Pfff ! 20 ans ! Il devrait être un homme responsable à cet âge ! Où est-ce que j'ai merdé dans son éducation ?

Tsukiko lui donna une légère tape sur le bras pour le rappeler à l'ordre au sujet de son langage.

— J'aurai dû lui donner plus de coups de baton ! Des fois, je ne sais pas qui entraîne qui dans leurs conneries : Tenka ou Kazu. Ce maudit Tanuki...
— C'est dans sa nature et tu le sais, reprit la Japonaise. Kazu est un esprit facétieux et il s'est trouvé un partenaire de jeux idéal avec Tenka.

Elle regarda Lorna en souriant.

— Kazu et Tenka sont inséparables depuis leur plus jeune âge. Les Tanukis ont toujours protégé le sanctuaire des Hirose. Ils veillent sur cette famille depuis des générations.
— Mouais, alors où étaient ces petits parasites quand c'était vraiment utile ? maugréa Jiguro.

Il n'avait jamais aimé les Tanukis et c'était réciproque. Si cela n'avait été pour les Hirose et la promesse faite à Takeo et Misao, jamais il ne se serait installé dans un endroit qui en était infesté !

— Vingt ans... En effet, ce n'est plus un enfant, approuva Lorna.

Ingrid se racla la gorge.

— Il y a... beaucoup de ces animaux ? Est-ce qu'ils mordent ?

— La colline en est infestée ! répondit Jiguro en agitant les bras, faisant tournoyer son baton au dessus de sa tête.
— Ne l'écoutez pas, tempéra aussitôt Tsukiko. Les Tanukis sont des esprits de la forêt. Ils sont malicieux, mais ce sont des Yokai bénéfiques. Et tous ne sont pas chapardeurs comme Kazu.
— Voleur. Pas chapardeur. Tu minimises toujours...

Ils arrivèrent à un embranchement. Si les lanternes continuaient à border l'escalier qui montait droit devant eux, celui qui partait vers la gauche en était dépourvu. La forêt paraissait plus dense dans cette direction et la lumière du jour semblait moins forte. Lorna et Ingrid eurent toutes deux l'intuition qu'il ne fallait pas emprunter cette route et quelque chose de néfaste se trouvait au bout.

— Encore ces quelques marches et nous y sommes, dit Jiguro en reprenant l'ascension.

Il jeta un coup d'oeil vers l'autre chemin, mais ne s'attarda pas.

— Et ce chemin là... Il mène où ? Demanda Lorna.

Ingrid sentit que la réponse n'allait pas lui plaire. Déjà que l'idée que des centaines de petits yeux avec des dents ascérées se dissimulent dans chaque buisson la faisait trembler... Le pire c'est que si Devlan avait été là, il ne l'aurait pas rassurée, bien au contraire il se serait fichu d'elle et en aurait rajouté.

La question déplût à Jiguro et Lorna crut qu'il n'allait pas répondre.

— C'est le territoire des morts. Restez-en à l'écart, cela vaut mieux, prévint-il fermement. Ne perdons pas de temps.

Il ne leur laissa pas l'occasion de poser une autre question, grimpant la dernière volée de marches. En haut, Lorna et Ingrid découvrirent un chemin de graviers bordés de pierres moussues menant à un portique de bois peint auquel étaient suspendus des shimenawa, les cordelettes rituelles tressées. Derrière, on devinait une vaste esplanade encerclée par les arbres de la forêt et, au centre, un bâtiment en bois avec un double toit en pente typique.



L'atmosphère ici était sereine et agréable, aidée par la douce lumière du soleil qui baignait les lieux. Ingrid reprenait son souffle quand deux petits Tanukis lui passèrent devant en se courant après, passant sous le portique pour continuer leurs jeux dans le gravier. Jiguro lâcha une bordée de jurons fleuries en agitant son baton.

Ingrid s'était raccrochée Lorna. Pour sa part, elle n'avait d'yeux que pour le temple et ses environs, un sourire émerveillé sur les lèvres.

— Ils ne vous feront rien. Ils ne mordent pas, tenta Tsukiko pour rassurer Ingrid.

Alors que Jiguro s'était lancé à la poursuite des deux petits Tanukis, elle entraîna les deux jeunes femmes vers le temple. Celui-ci n'était pas très grand, mais était pourvu d'une belle annexe qui servait d'habitation. Sur le côté droit de la clairière se trouvait une petite source, ainsi qu'une réserve ou un atelier. Statues et lanternes de pierres complétaient le décor.
Tsukiko les laissa découvrir les lieux pour ramener Jiguro à ses devoirs d'hôte et tous les deux disparurent à l'intérieur de la maison pour préparer du thé.

— Vous êtes quand même plus agréables à regarder que les Yokai habituels, fit une voix masculine au-dessus de leurs têtes.

Perché dans un arbre, allongé sur la plus grosse branche, un jeune homme les observait avec attention et un petit sourire malicieux. Ses cheveux bruns foncés étaient retenus en queue de cheval et deux anneaux de pierres rouges ornaient ses oreilles. Il portait un kimono noir brodé de nuages rouges et dorés sur le bas et les manches.

— Et vous regardez souvent les Yokais ? Demanda Lorna avec un sourire amusé.

Ingrid préférait observait les buissons autour d'elles.

Le jeune homme se laissa glisser le long de sa branche pour s'y suspendre par les bras.

— Il y en a partout ici.

Il atterrit au sol et remit son kimono en place. Autour du cou, il portait un étrange collier fait d'une suite de losanges évidés en bois laqué.

— Mais ce sont des bénéfiques ou des neutres. Et vous ? Vous entrez dans quelle catégorie ?

Puisque le kekkai du portique n'avait pas réagi, il connaissait déjà la réponse, mais il était curieux de ce qu'elle allait dire.

— Cela dépends de qui nous avons à faire, répondit Lorna en essayant de rassurer Ingrid de petites tapes sur l'épaule.

Elle sourit au jeune homme avec sa bienveillance habituelle.

La réponse plût à Tenka autant que les formes que le kimono de Lorna laissait entrevoir. Si les traits des étrangères étaient loin des standards locaux, le jeune homme savait reconnaître une poitrine généreuse et accueillante.

— Je suis Tenka, 7e chef du clan Hirose et du temple où vous vous trouvez, fit-il avec un sourire malicieux.

Il fit un pas vers Ingrid.

— Vous n'avez rien à craindre ici. Les Tanukis ne mordent que Jiguro.

Ingrid baissa les yeux en rougissant.

— Je... D'accord. Merci.

Mais elle n'était pas certaine de ne pas hurler à nouveau si une de ces créatures poilues l'approchait un peu trop vivement.

Il sourit encore à Ingrid. Elle lui rappelait une petite souris.

— Et si vous m'en disiez plus sur vous et d'où vous venez ? demanda-t-il avec une curiosité sincère.

Il leur désigna les marches du temple pour les inviter à le suivre.

Elles le suivirent sans protester.
Lorna réfléchit à ce qu'ils avaient décidé de dire et répéta avec soin le discours qu'ils avaient tous appris. Au moins, pour ça, son japonais était il parfait.

Tenka les fit entrer dans le bâtiment abritant le sanctuaire. C'était une grande pièce carrée au sol en tatami. Des panneaux coulissants en bois et papier de riz constituaient les cloisons communes avec la partie habitation. Ils étaient décorés de peintures délicates représentant des paysages du village, du lac, de la forêt où se promenaient des tanukis, des renards et des grues d'un côté et de l'autre des yokai terrifiants. Au centre du mur du fond était disposé un autel ressemblant à une petite maison en bois laqué rouge et noir ceinte d'autres shimenawa blancs. De l'encens brûlait lentement dans des coupelles en métal et des offrandes étaient disposées méthodiquement sur le devant.
Tenka joignit les mains et s'inclina devant l'autel avant de les inviter à faire de même.

— Existe-il des yokai chez vous ? demanda-t-il finalement en désignant les dessins sur les cloisons.

Lorna lui sourit.

— Vous semblez très intéressé par ce point. En quoi est-ce si important pour vous ? demanda-t-elle.

— C'est un peu mon obsession, c'est vrai, répondit-il avec sa malice habituelle. Nous vivons avec eux ici, pour le meilleur et pour le pire. Ils font partie de nos vies, alors je suis curieux de savoir si c'est pareil ailleurs...

Ils entendirent un bruit de cavalcade de l'autre côté de la cloison commune avec l'habitation, Jiguro jurer comme un charretier et le rire de Tsukiko.

— Non. Chez moi c'est différent. Nous ne sommes pas à l'écoute de ce genre de choses....

— Alors, c'est qu'il n'y en a pas dans votre pays. Dans le cas contraire, vous ne pourriez pas les ignorer vu que la plupart aime tuer et manger les êtres humains.

Il jeta un oeil à Ingrid et frappa dans ses mains

— Mais assez parlé de ça. Allons donc boire le thé et embêter un peu Jiguro.

Il ouvrit le panneau coulissant, dévoilant le vieil homme aux prises avec Kazu. Le tanuki refusait de lâcher le chapelet que le vieil homme tentait de lui reprendre. Quand il aperçut Tenka, le petit yokai abandonna l'affaire pour lui tourner autour, ce qui fit perdre l'équilibre à Jiguro qui se vautra par terre.

— Tu ne tiens plus sur tes pattes, vieil homme, se moqua le jeune homme.

Ingrid s'était approchée pour aider l'homme à se redresser avec sollicitude. Elle regarda le jeune homme avec désapprobation.
Lorna resta pour sa part en observatrice.

Jiguro remercia la jeune femme en maugréant qu'il rêvait de faire de Kazu une descente de lit. Il se redressa et passa ses doigts sous son long nez en reniflant avec agacement avant de s'excuser auprès de ses trois invitées.

— Ce n'est pas ainsi que doit se comporter le chef de ce temple, reprocha-t-il à Tenka. Quand je ne serai plus là...
— Mais je t'en pries : rentre chez toi ! Nous n'avons pas besoin de toi.
— Bien sûr ! Tu as l'air d'être totalement prêt à endosser tes responsabilités, cela se voit.

Tenka le singea comme l'aurait fait un sale gamin, ce qu'il était certainement malgré son âge. S'ensuivit une discussion sans doute déjà répétée maintes et maintes fois entre les deux hommes qui pouvait rappeler par certains côtés les disputes entre Rhys et Alex. Cela aurait sûrement duré très longtemps si Tsukiko ne s'en était pas mêlée en leur collant une tasse de thé chaud entre les mains, leur rappelant les règles de l'hospitalité.

— Tes parents n'auraient jamais toléré un tel comportement, râla encore Jiguro pour la forme, ce qui lui valut un regard désapprobateur de la part de Tsukiko.
— Ils sont morts, alors cela leur importe peu, cingla Tenka avec plus de froideur qu'il n'en avait démontrée jusque là. Alors, va-t-en. Retourne aux tiens. Okuni et moi, on se débrouille très bien tous les deux sans que tu sois dans nos pattes.

Sur ces mots, il reposa sa tasse sans y avoir touché, sourit légèrement à une Tsukiko contrariée, puis se tourna vers Ingrid et Lorna.

— Il y a de très belles chutes d'eau pas loin d'ici. Je vous emmène ?

Lorna fit "non" de la tête.

— Je vous remercie pour cette invitation mais je ne suis pas un homme que je ne connais pas. Mais nous aurons sûrement l'occasion de nous rencontrer à nouveau, dit elle poliment.

Ingrid laissa échapper un soupir de soulagement. Après toutes ces marches, elle n'avait pas vraiment envie de marcher encore.