Chapitre 36 - Retour au pays Basque

Jeudi 6 juin

Le sommeil de Noé avait été agité. Il s'était réveillé au milieu de la nuit, heureusement avant que le mauvais rêve ne se transforme en cauchemar, soulagé de voir Capucine dormant à côté de lui. Il s'était coulé doucement contre elle, parcourant sa peau de baisers légers, respirant son odeur, ce qui avait fini par la réveiller. Ils étaient restés longtemps à simplement s'embrasser. Il n'avait rien dit de son mauvais rêve, se contentant de se raccrocher à la réalité autant qu'aux lèvres et au corps de Capucine. Puis, ils avaient fait l'amour avant de somnoler jusqu'au lever du soleil.

— Je veux pas me lever, murmura Noé alors qu'ils finissaient d'émerger.

Sortir de ce lit signifiait reprendre le cours de sa vie, devoir retourner au pays Basque et faire face à tout ce qu'il avait fui la veille. Cela voulait dire aussi ne plus pouvoir tenir Capucine contre lui comme et quand il le souhaitait, faire semblant de ne pas vouloir la toucher, cacher ses sentiments pour elle, devoir n'être que des amis, tout ça sans la perspective de pouvoir la rejoindre en douce dans sa chambre sans se faire prendre. Il essayait aussi de ne pas penser qu'une fois qu'il aurait donné à nouveau son sang à Miu, il n'aurait peut-être plus envie de tout cela.

Capucine esquissa un sourire et tourna son visage pour le regarder.

— Allons nous baigner, prenons un petit déjeuner sur la terrasse et ne pensons à la suite que lorsque nous passerons cette porte, proposa-t-elle.

C'était tout ce qu'elle pouvait lui offrir mais cela lui donnait pour sa part beaucoup de courage pour affronter la suite.

Ce programme plut beaucoup à Noé qui l'accueillit d'un sourire chaleureux, ses pensées rejoignant celles de la jeune femme.
Une fois dans l'eau, il retrouva sa malice habituelle, essayant d'entraîner Capucine dans ses jeux entre deux éclaboussures, quelques éclats de rire et de longs baisers. Quand ils sortirent enfin de l'eau, il était affamé et plein d'énergie.

Ils prirent le petit déjeuner au soleil, profitant une dernière fois de la vue. Ils firent durer le moment autant que possible, y compris devant la porte mais quand ils la franchirent ils avaient chacun repris leur rôle.
Capucine avait préparé un sac de voyage, rassurée par l'idée de pouvoir se recharger avec la porte donnant sur Saint-Germain en Laye.
Ils arrivèrent alors que les Hendricks préparaient le déjeuner. Dimitri et Jonas étaient à la pluche alors que Bo expliquait à Kelya comment bien ficeler le filet mignon. Elle laissait entendre avoir fait ça toute sa vie alors qu'elle avait appris auprès de la cuisinière familiale quelques jours plus tôt.

Kelya avait été soulagée que son frère les rejoigne la veille au soir, ne serait-ce que pour qu'il la prenne dans ses bras le temps qu'elle pleure et s'endorme. Ce matin, elle s'était levée tôt, à la même heure que si elle partait pour le lycée, et s'était plongée dans ses révisions. Penser maths et biologie lui avait permis de mettre de côté ses appréhensions à recroiser Miu et de ne pas penser à la mort de Clémentine.
C'était avec plaisir qu'elle s'était proposée pour aider à préparer le déjeuner. A la maison, c'était elle qui s'en chargeait le plus souvent, Jo rentrant tard du boulot.

— Salut tout le monde, fit Noé en entrant.

Il avait montré sa chambre à Capucine en arrivant et y avait déposé ses affaires. Il en avait profité pour lui voler un dernier long baiser avant de descendre au rez de chaussée, pour se donner du courage.

— Ah tiens, le Petit Prince est de retour au bercail.

Jo accueillit Noé d'un signe de la main amical alors que sa soeur leur adressait un "bonjour" poli, sans s'attarder plus que nécessaire. Il se doutait que Kelya ne savait comment réagir avec Noé pour l'instant.
Jo croisa ensuite le regard de Capucine. C'était la première fois qu'elle le voyait sous sa véritable apparence.

Capucine ouvrit le placard pour sortir une bouteille d'eau. Elle sortit un stylo et écrivit son nom dessus. Elle y ajouta des gouttes de quelque chose et se servit un verre. Elle la laissa en évidence sur le plan de travail.

— Les légumes sont bio ? Demanda-t-elle en guise de bonjour.

Ses yeux se posèrent sur Jonas. Elle l'observa avec attention.

Jo était habillé d'un Levi's délavé et d'un tshirt noir au col en V, des baskets aux pieds. Ses cheveux mi-longs étaient retenus par un semblant de queue de cheval et il était rasé de près. A son cou pendait une petite pyramide de peridot que Capucine avait déjà vue parmi les bijoux magiques rangés dans la bibliothèque de St Germain, très certainement un cadeau de Quentin pour remplacer la montre qu'il avait perdue lorsque la mer l'avait emporté l'autre fois.
Le jeune homme soutint son regard, affichant la même expression que la Française avait pu lui connaître quand il était Joanna et qu'il s'invitait à la table du petit déjeuner. Il voulait bien croire que la situation nécessitait toute l'aide possible, il avait encore du mal à se faire à l'idée que Capucine avait changé de statut et, surtout, qu'ils puissent être amenés à bosser ensemble sous peu.

— Bio et locaux, répondit Kelya. Enfin, je crois...

La jeune fille avait croisé Capucine quelques fois, lorsqu'elle avait été invitée à déjeuner ou dîner par Gwen, mais les seuls mots qu'elles avaient échangés étaient les salutations d'usage. Tout ce qu'elle savait d'elle se résumait à ce que Jo avait pu lui dire - et ce n'était ni constructif, ni objectif, elle en était certaine - et à ce qu'elle avait entendu lorsque ses oreilles trainaient du côté de Noé et de ses copains.

Capucine n'insista pas et alla s'installer avec son verre dans un fauteuil. A bonne place pour observer. Elle fut surprise lorsque Thanaclop la rejoignit sous sa forme humaine. Ils échangèrent quelques banalités avant qu'il ne lui propose de lui faire visiter le jardin avec un regard entendu. Elle approuva et ils quittèrent les lieux.

— Gwen n'aurait pas dû partir... Thana va se faire mettre le grappin dessus par Capucine maintenant, dit Bo en mettant la viande au four.

Noé les avait regardés partir avec un peu d'appréhension. Allaient-ils parler de Miu et de ce qui s'était passé ?

— Personne n'a de nouvelles de Maman ? demanda-t-il plutôt.
— D'après le fou furieux du satellite, elle est en Bretagne depuis hier, répondit Jo.

Noé ne cacha pas son soulagement. La Bretagne, c'était parfait. C'était loin de Gauthier. Elle était en sécurité.

— Et Miu ? finit-il par dire après une hésitation.

Maintenant que Capucine s'était éloignée, il ressentait à nouveau pleinement le manque de la démone. Il était toujours en colère contre elle, mais il voulait la voir, la toucher.

Bo leva les yeux vers lui.

— Elle n'est pas revenue.

Elle ne savait pas encore si c'était une bonne ou une mauvaise chose. L'expression de Noé n'était pas facile à décrypter.

Lui-même n'en savait rien. Il y avait cette part de lui qui brûlait de la revoir, de s'excuser de l'avoir envoyer paître, de lui donner son sang, et il y avait l'autre qui ne voulait plus rien à voir à faire avec celle qui avait tué Clémentine. Et pourtant, il faudrait bien qu'il lui reparle, qu'il remette du sable dans le sablier et qu'il demande le réceptacle pour les Lumières.

— Et ce grimoire ? Vous l'avez examiné ? Vous pouvez le lire ?

Bo hocha la tête.

— C'est... C'est quelque chose qui nous ressemble, finit elle par dire faute de trouver meilleure description. Il est chez Thana.

Noé la regarda longuement. Il était curieux de voir la magie du grimoire et en même temps, il avait en tête les mots d'Eric à ce sujet : ce n'était pas une magie pour les humains.

— J'espère que vous y trouverez quelque chose pour t'aider. Que tout ça ait au moins servi à quelque chose.

Il esquissa un sourire qui n'atteint pas ses yeux. Il fallait que ce grimoire serve à sauver Bo, que la mort de Clémentine n'ait pas été vaine.