F01 LW - Caleb/Ishildur

Gerhard la suivit des yeux avant de revenir à Caleb qui se remettait sur ses pieds.

— T'as l'air entier et en bonne santé. C'est au moins ça.

La vieille ne l'avait pas encore siphonné de toute sa magie, il était arrivé à temps.

— File chercher tes affaires, on rentre à la maison.

En attendant, il allait mettre le souk dans les affaires de Sigyn pour retrouver ce qui lui appartenait. Un sourire rusé et un peu mauvais passa sur son visage à l'idée de mettre la main sur le sac où elle l'avait enfermé autrefois. La coller dedans à son tour ne serait qu'un juste retour des choses.

Alors qu'il partait à ses recherches, les chouettes possédaient par les ombres allèrent se cacher sur un arbre.
Ishildur avait beau guider Caleb, il rentra quand même de plein fouet dans le tronc quand il voulut se poser. La vision nocturne de l'animal était très différente de la sienne.

C'est mieux chacun son hibou... Comme ça si un meurt, il nous restera l'autre.

Même si techniquement, ils étaient déjà morts. Ishildur avait fait tout cela en rangeant ses affaires, cela lui demandant bien moins de concentration qu'à Caleb.

Le jeune homme avait la tête qui tournait, comme si c'était lui qui s'était payé l'arbre. Voir à travers les yeux du hibou contrôlé par son ombre était encore différent de voir à travers une ombre. Il fallait appréhender le corps de l'oiseau, les ailes... c'était plus compliqué qu'il l'aurait cru.

— Il va certainement nous emmener en Allemagne, ou ailleurs en Europe. On va partir loin d'ici.

Caleb ne craignait pas de retourner avec Gerhard. Même si le sorcier râlerait peut-être un peu, il ne leur ferait aucun mal. Il avait besoin de leurs magies. La vie allait simplement reprendre son cours comme avant Sigyn. Ce qui l'embêtait le plus, c'est que Gerhard n'aimait pas la nature et qu'ils devraient vivre en ville, loin de la forêt et des animaux.

C'est un monde avec des dragons ?

Ishildur se changea en usant de la magie mais toujours pour ses épaisses jupes et ses chandails aux motifs jacquard. Elle força Bobette à se cacher dans son sac et ce malgré les coups de cuillère en bois signifiant sa protestation.

On fait quoi du chat ? demanda-t-il après avoir fait "non" de la tête à sa question.

Caleb récupéra son sac à dos et y fourra ses affaires avant de s'habiller.

— C'est le chat de Sigyn. Elle t'arrachera les yeux si tu lui prends.

Et Bobette serait ravie d'être débarrassée du félin.

Caleb n'insista pas. Lui qui adorait les animaux n'était pas spécialement proche de ce chat et l'inverse était vrai. De toutes façons, il savait s'occuper de lui et chasserait sa nourriture dans les bois en attendant que Sigyn se libère.

— Vous attendez Noël ou quoi ? beugla Gerhard du rez de chaussée.

Il leva son nez crochu vers la sorcière toujours au plafond et lui fit un petit signe de la main.

— Tu ne m'en voudras pas si je récupère mon bien et que je t'emprunte ta baguette, n'est-ce pas ? lui dit-il en agitant cette dernière et le baton de Méren pour qu'elle les voit bien.

Sigyn se contenta de grimacer. C'était ce qu'il attendait d'elle. Elle avait mis un traceur dessus et elle doutait fortement qu'il le trouve puisque ce dernier ressemblerait à un simple mal de crâne quand il se servirait d'un des objets magiques.
Elle lui souhaitait bien du courage avec la gamine mais connaissant ses habitudes citadines, elle ne supporterait pas sa nouvelle vie et reviendrait fissa près de lui. Avec un peu de chance, elle lui collerait une ombre dans la tête et ils en seraient débarrassés pour toujours.
Elle la regarda arriver avec son sac en bandoulière. Oh oui, elle lui souhaitait bien du courage...

Gerhard avait empoché la baguette d'Azora et faisait des moulinets avec le bâton de Mérén. Le sorcier avait eu le temps de réfléchir à quoi faire de Sigyn. Il ne pouvait pas la tuer : il avait essayé de nombreuses fois et ça avait toujours raté. Elle était aussi increvable que lui. Sans compter qu'il avait donné sa parole à la gamine et il n'allait pas revenir dessus devant elle.
Envoyer Sigyn dans les limbes était bien tentant, mais elle trouverait un moyen d'en revenir, comme il l'avait fait du monde des dragons. Il fallait innover.
D'un geste de la main, il fit redescendre la bulle de Sigyn et prononça une incantation dans une langue gutturale que Caleb ne reconnut pas. Du plat de la paume, il poussa la bulle dans le mur de bois où elle commença à disparaitre. Puis, dans un éclair rougeâtre, la bulle et Sigyn disparurent. A la place, les changelins virent un tableau représentant la sorcière dans un style cubique.

— Hé bien, même en peinture, elle est toujours aussi moche. Allez, dehors les enfants.

HJ> Ils ont déjà mis une ombre puisque Caleb-Hibou s'est cogné

Ishildur trouvait qu'il était très mal placé pour parler mais elle se contenta de mettre en place la procédure d'Urgence. Elle fit courir sa magie sous la forme d'une toute petite araignée émeraude sur le sol. Elle trouverait le chat et activerait le collier de ce dernier. Ou alors elle ferait écrabouiller ou manger... Mais là, ça ne serait pas de sa faute, ce serait le destin.
Elle espérait qu'ils tiendraient tous sur le dragon-moto. Elle n'avait pas envie de marcher.

D'un geste des baguettes, Gerhard indiqua la sortie aux deux changelins. Finalement, il n'avait pas trouvé le sac où la vieille peau l'avait enfermé autrefois. Il n'avait déniché que son sac de Mary Poppins et il n'en avait pas l'utilité, aussi l'avait-il laissé derrière lui... après y avoir fait un gros trou avec un sort de feu. Au cas où.

— On va où ? demanda Caleb en regardant le dragon-moto.
— Si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien, trancha le sorcier.

Il fit un large cercle du bras devant eux et des étincelles naquirent en un tourbillon. Au centre, se dessina bientôt un paysage bien différent de celui où ils se trouvaient. Une fois le portail stabilisé, Gerhard attrapa les rênes du dragon et montra l'autre côté à Caleb.

— Tu attends quoi ? Hop, hop, hop !

Le jeune homme attrapa la main d'Ishildur. Il jeta un dernier coup d'oeil vers la maison. Gerhard en eut assez d'attendre et les poussa tous les deux à travers le portail, les suivant dans la foulée avec le dragon.
Ils arrivèrent dans une autre forêt, avec de grands sapins. Le portail se referma derrière eux.

— Nous allons compliquer un peu la piste, fit Gerhard en rouvrant un autre portail.

Ishildur n'avait pas apprécié de se faire pousser. Elle détestait se faire malmener ou brusquer. Elle se redressa en marmonnant en islandais des choses peu flatteuses sur les sorciers.

Gerhard les ignora superbement et leur ordonna de passer son nouveau portail. Cette fois, ils arrivèrent près de la mer, mais le sorcier réitéra son sortilège et il fallut recommencer. Ce petit jeu dura un moment que même Caleb trouva long, d'autant plus qu'ils n'avaient jamais le temps de profiter des nouveaux paysages qu'ils découvraient. Parfois, Gerhard ouvrait plusieurs portails et envoyait leurs traces magiques dans l'un avant qu'ils passent l'autre. Si Sigyn avait dans l'idée de les suivre, qu'elle se perde un peu en jouant au chat et à la souris !
Finalement, ils débouchèrent dans un parking souterrain dont les odeurs saturées de vapeurs d'essence, de chaleur rance et d'autres choses peu ragoutantes leur piqua le nez.

— On va aller manger et après ça, on ira s'installer, déclara Gerhard en laissant le dragon-moto sur une place de parking.

Ishildur avait encore un peu mal au coeur de tous ces trajets, elle ne voyageait jamais ainsi avec la vieille femme. L'idée de manger l'aurait habituellement mis en joie mais pas cette fois et les odeurs n'arrangeaient rien.

— J'ai pas faim, dit elle. Je veux aller me coucher.