F01 LW - Caleb/Ishildur

Caleb regretta aussitôt ne pas avoir son sweat à capuche sur le dos pour se planquer dedans. Il sentit ses joues s'empourprer un peu. Cela aussi, il allait devoir travailler dessus.

— Se.. S'emb... S'embrasser.

Il prit une grande inspiration et débita d'une seule traite :

— Mais elle se fait des idées, hein, puisqu'on a dit que ça n'arriverait pas. Je pense pas à t'embrasser... ni à rien d'autre. Et si je t'ai demandé si tu voulais dormir ici, c'était pas... Enfin, tu sais... On en a déjà parlé et... Pas que tu sois pas jo... jolie, c'est pas le problème.

C'était le fameux sujet. Elle le regarda d'un oeil critique. Elle ne comprenait pas pourquoi la copulation l'empêchait de parler et le faisait devenir tout rouge. C'était un véritable mystère.

— Ben oui je sais, tu n'aimes pas ça, dit elle finalement.

Ce qu'elle comprenait très bien. C'était vraiment très bizzare de vouloir mettre sa langue dans la bouche de quelqu'un. De la part de la vieille sorcière ça ne l'étonnait pas, elle trouvait toujours des méthodes assez contestable de faire taire les autres.

— ça, je sais pas... avoua-t-il avant de rougir un peu plus.

Il n'avait jamais embrassé de filles de toute sa vie. Ishildur était d'ailleurs la seule qu'il n'avait jamais approché d'aussi près et vraiment côtoyé.

— Oublie ce que je viens de dire, fit-il rapidement en se tournant pour commencer à faire sortir de nouvelles branches du mur de troncs enlacés pour créer un nouveau lit.

— Ben t'as qu'à mettre ton doigt dans la bouche et le tourner dans tous les sens tu auras une idée.

Elle alla à la fenêtre.

— Moi j'y aurais jamais pensé mais on m'a pas vraiment demandé mon avis, de toutes manières. Cela dit Sigyn a dit que ce serait pas la première fois, ni la dernière et que je ne pourrais pas toujours utiliser mes ombres pour empêcher ça.

Caleb tourna la tête vers elle, mais il ne savait pas vraiment quoi répondre à cela.

— C'est comme ça que tu as mis une ombre dans quelqu'un la 1re fois ? Pour empêcher qu'on t'embrasse alors que tu voulais pas ?

— Non. C'était étrange mais pas inintéressant. J'ai pas aimé ce qu'il disait de moi. Je voulais juste qu'il arrête de parler. Et puis, il a regardé les marques sur mon dos et ça lui donnait envie de faire comme les autres. Sauf que moi je ne veux plus qu'on me fasse ça.

Elle regarda la lune. Elle se souvenait quand sa grand-mère gravait les signes avec son petit couteau sur le cuir de la lanière. Elle disait que grâce au langage du petit peuple, elle ne guérirait pas. C'était vrai. Les cicatrices ne la faisaient pas souffrir mais même Sigyn ne parvenait pas à les faire disparaitre.

Caleb se glissa à côté d'elle et prit sa main dans la sienne en silence. Grâce à leur échange d'ombre, il sentait toujours un peu les sentiments d'Ishildur en lui, même si cela devenait de plus en plus fugace avec les jours qui passaient.

— Plus personne ne te le fera, dit-il doucement en regardant par la fenêtre à son tour. Tu peux te défendre et puis... je suis là, aussi.

Il serra sa main dans la sienne. Elle n'était plus tout seule et lui non plus. Ils étaient ensemble, deux êtres similaires, partageant leur nature autant que leur magie. Un peu comme un frère et une soeur.

Elle le regarda.

— Bien sûr que si ça recommencera. Les humains ne nous aiment pas. Ils ont peur du diable. Les sorciers veulent notre magie. Et puis toi, tu as peur de tout.

Il sentit bien que ce n'était ni un reproche, ni une critique mais son franc-parlé habituel.

— Un jour, j'irai vivre toute seule dans la forêt. La vieille ne sera pas toujours là. Je vivrais loin des humains et loin des sorciers. Avec Bobette et sa famille.

— Tu vas lui créer une famille ?

Il n'avait pas mal pris ce qu'elle avait dit sur lui. Il savait très bien qu'il n'était pas courageux. Jusqu'ici, il n'avait jamais eu besoin de l'être et il n'avait que 15 ans. Peut-être qu'il était temps que cela change. A cette pensée, il sentit Numéro 2 et Numéro 3 approuver.

— Bobette se sent seule. Elle est un peu jalouse de toi, dit elle en baissant d'un ton.

Ce qui était ridicule puisque Bobette voyait et entendait tout ce qu'elle pouvait dire.

— Mais peut être que je vais utiliser ton ombre et une des miennes pour la prochaine poupée.

— Oh. C'est pour ça qu'elle ne m'aime pas, réalisa-t-il.

Personne n'avait jamais été jaloux de lui, et même si ça venait de Bobette, il sentait que cela lui faisait plaisir. Numéro 3 ironisa en lui rappelant que si Gerhard avait arrêté les leçons de magie, c'était bien parce que le vieux cornichon était jaloux de ses capacités.

— Tu crois que ça marcherait avec deux ombres ?

Caleb était curieux de voir comment la jeune fille s'y prenait pour animer ses poupées. La façon dont elle se servait des ombres était tout de même fascinant, surtout pour lui qui n'avait jamais pensé à autre chose qu'à les garder en sécurité en lui.

— Oui. Si elles s'entendent bien, elles finiront par se fondre l'une dans l'autre.

Elle aimait bien quand leurs ombres jouaient ensemble mais elle aimait encore plus quand elles se lovaient l'une contre l'autre. C'était une chaleur et une douceur qu'elle n'avait jamais connu dans sa vie.

Il lui offrit un large sourire et posa la main sur son plexus.

— Je t'en donnerai une. Il faut que tu gardes la première comme je garde la tienne, là.

L'ombre donnée par Ishildur s'était bien acclimatée. Elle était presque devenue l'une des siennes. Il espérait qu'elle ne le serait pas tout à fait afin de garder cette connexion avec son amie.

— On ne dira rien à Sigyn sinon elle va encore nous en faire une montagne.

La sorcière leur avait reproché leur premier échange comme si c'était là une hérésie. Mais qu'en savait-elle vraiment ? Elle avait peut-être connu d'autres "enfants du démon" comme elle disant, elle avait peut-être de l'expérience et du pouvoir, elle n'était pas comme eux.

— Je veux l'ombre lion, dit elle avec un sourire.

Elle savait bien que cette ombre là protesterait. Elle faisait partie des grandes et des anciennes. Elle détesterait vivre dans une poupée de chiffons.

A l'expression de Caleb, elle avait vu juste. Numéro 3 grognait et montrait les dents à cet instant.

— Pas elle. Numéro 3... est importante. Comme Numéro 2 d'ailleurs. C'est un peu comme si je te demandais de me donner ton bras... Sans elles, je ne serai plus tout à fait moi.

Il baissa d'un ton comme s'il voulait révéler un secret.

— Et de toute façon, elle a un sale caractère. La poupée ne serait pas gérable.

A ces mots, Numéro 3 se gonfla comme un chat en colère.

— Tu les comptes ?

Ishildur lança sa magie dehors. Des morceaux de laine arrivèrent et une fois dans la chambre, elle les transforma en épais matelas et couvertures.

Caleb lâcha la main de la jeune fille.

— Juste ces deux-là. Elles sont plus fortes que toutes les autres. Parfois, elles prennent le dessus et... je change un peu. Numéro 2 est une aventurière et elle adore la vie qu'on a ici. Numéro 3... elle aime la compétition. Tout à l'heure, c'est elle qui t'a défiée. Elle voulait vraiment gagner contre ton araignée.

Il avisa le lit. Finalement, il l'avait fait assez grand pour deux.

— Elle sortait souvent face à Gerhard, à l'époque où il acceptait de nous apprendre quelques trucs. Mais comme j'étais plus doué que lui et que Numéro 3 n'hésitait pas à le lui faire savoir... Mon oncle est très mauvais perdant, tu vois. Il a stoppé les leçons et m'a interdit les grimoires.

— C'est quand même bizarre ce chiffre. Ou alors tu devrais dire juste Trois et Deux.

Elle s'assit sur le lit.

— De toutes manières, j'aurais gagné. Je fais de la magie depuis que j'ai huit ans.

Caleb sentit que Numéro 3 était prête à relever le défi, mais ce n'était plus le moment pour ça.

— Sans doute, oui, mais si Sigyn m'apprend à utiliser mes pouvoirs, ça pourrait changer.

Il s'allongea, restant bien au bord du lit pour ne pas prendre trop de place et ne pas gêner Ishildur.

— Ou toi. Tu pourrais m'apprendre ce que tu sais, non ?

— Je n'ai pas besoin de t'apprendre.

Allongée sur le lit, elle jouait avec une petite dentelle de sa longue chemise de nuit. Elle était dans un coton épais assez vieux mais la jeune fille avait dissimulé de nombreux trous sous de jolies broderies colorées. Des fleurs, des vagues, des soleils, des abeilles, des chats...

— Si tu mets beaucoup de tes ombres en moi, tu auras juste à copié. Comme lorsque tu colories avec ton crayon quelque chose de gravé.

Ils ne l'avaient jamais fait mais ça lui semblait évident.

— Je n'y aurai jamais pensé...

Mais il n'était pas très malin pour penser à ces choses-là, Gerhard n'avait pas arrêté de le lui dire.

— ça veut dire que si tu faisais pareil, tu pourrais savoir tout ce que je sais ?

Elle pourrait parler l'allemand ou savoir peindre par exemple.

— Je suppose oui.

Elle essaya de réfléchir. Elle n'aimait pas faore ça mais elle voulait bien faire un petit effort pour Caleb parce qu'il ne la houspillait jamais.

— Ça me semble plus facile en tout cas que quand la vieille essaie de m'apprendre un truc que je dois mémoriser avec ma tête.

Rien que d'y penser, elle ressentait à nouveau cette barre sous son front.

— Il faudra qu'on essaye, fit-il avec un sourire impatient.

Ses horizons commençaient à s'élargir depuis qu'il avait rencontré Ishildur. Chaque jour ressemblait à une nouvelle aventure et cela lui plaisait presque autant qu'à Numéro 2. Il avait envie d'explorer ce qu'ils étaient tous les deux, ce dont ils étaient capables.

— D'accord.

De toutes manières, elle n'était jamais contre quelque chose qui déplairait probablement à sa maitresse. Elle ferma les yeux.

— Si tu veux on peut partager un peu nos ombres pour dormir. Ce sera un début.

Il se tourna sur le côté et ferma les yeux avant de poser sa main sur la sienne. Cette fois, il ne rougit pas et ne se sentait pas embarrassé. Il fit sortir deux petites ombres qui rampèrent le long de son bras pour passer à celui de la jeune fille.

— Ce serait peut-être amusant si on partageait nos rêves cette nuit.