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Chapitre 37 - Les Portes d'Avalon

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Message par Gwen Lafey Lun 14 Sep - 22:07

Jeudi 6 juin
10 heures plus tôt


La nuit avait été longue pour Gauthier. Les RG l’avaient arrêté en fin d’après-midi et ne l’avaient pas lâché avant l’aube. Ils lui avaient parlé fraude fiscale, blanchiment d’argent, espionnage, trafics, lui posant les mêmes questions en boucle jusqu’à le rendre presque fou. Combien de fois s’était-il retenu d’annihiler les inspecteurs chargés de l’interroger ? Combien de fois avait-il retenu sa magie pour éviter de repeindre les murs avec leur cervelle ? Il avait finalement été libéré et s’était écroulé sur son lit à peine rentré, épuisé, mais bien décidé à faire payer Quentin et ses laquais pour cette humiliation.
C’était la sonnerie de l’interphone qui l’avait réveillé et maintenant, il fixait Gwen qui se tenait sur le palier de son appartement. Après les RG, il s’était attendu à voir débarquer Quentin, Ahmed et les types de DLS, et certainement sans s’embarrasser de sonner. Il n’aurait jamais cru revoir Gwen ici, seule de surcroît et sans son sac à main. Il avait senti l’affolement dans sa voix lorsqu’elle s’était annoncée à l’interphone et il le lisait sans mal sur son visage.

— Pourquoi es-tu là ? demanda-t-il finalement.
— Il fallait que je te voie, qu’on parle…

Il nota sa nervosité à sa façon de se tenir les mains et de jouer avec son alliance, hésita, puis s’écarta pour la laisser entrer. Les sortilèges de protection qui bardaient l’appartement ne repérèrent aucun mouchard, ni aucune illusion. Gauthier conserva néanmoins sa prudence, n’étant pas encore sûr que Quentin n’utilise pas sa propre mère pour le piéger, mais l’entraîna jusqu’au salon.

— J’ai peur pour nos enfants, reprit-elle en s’asseyant sur le canapé. Clémentine est chez nous depuis hier.
— Quoi ? Comment ça ?

Gwen regarda Gauthier devenir presque livide alors qu’il découvrait la disparition de sa fille. Il ne s’était même pas aperçu de son absence alors que cela faisait plus de 24 heures qu’elle avait quitté Paris.

— Olivier l’a agressée hier matin alors qu’elle se rendait au lycée. Elle n’a rien, rassure-toi. Elle a été sauvée par l’un des agents de DLS.

Le regard de Gauthier se fit glacial à la mention de l’Oaf. Avait-il osé s’en prendre à Clémentine pour la vider de ses ombres ? Pensait-il qu’il laisserait cet acte impuni ?

— Mais… Pourquoi n’ai-je pas été prévenu ? Et pourquoi n’est-elle pas rentrée à la maison ? Elle n’a même pas appelé !

Une angoisse sourde serrait ses tripes à l’idée que Quentin ait percé son secret, qu’il sache ce qu’était Clémentine et à quoi elle lui servait.


— Je voulais t’appeler, mais… C’est Quentin, avoua-t-elle dans un soupir. Avec toutes ces attaques et ces menaces, je l’ai laissé gérer notre protection, nous emmener loin de la maison, mais… Je ne sais pas ce qu’il a en tête. C’est lui qui a décidé de garder Clémentine avec nous. Nous nous sommes disputés. Je voulais qu’elle rentre, ou au moins qu’elle te prévienne, mais il a refusé. Il a dit vouloir la mettre à l’abri.
— C’est ma fille ! Il n’a aucun droit ! Je pourrais l’accuser d’enlèvement, de séquestration !

Elle hésita, puis avoua :

— Il prétend que tu es le responsable de tout. Que c’est toi qui as volé le grimoire des Huldres et que tu as tué Aurélien et même Eric. Il dit aussi que tu as envoyé cette créature qui a failli tuer Noé l’autre soir et qu’il faut protéger Clémentine de toi… J’ai beau lui dire que c’est impossible, qu’il se trompe, il ne veut pas en démordre.
— Tu ne crois quand même pas que…
— Non ! Bien sûr que non.
— Aurélien m’a testé plusieurs fois. Je ne suis pour rien dans cette histoire. J’ai été piégé !
— Je sais, Gauthier.
— Jamais je n’aurai fait le moindre mal à ta famille.
— Je sais !

Gwen attrapa sa main et la serra fermement, croisant son regard.

— Je sais tout ça, lui affirma-t-elle à nouveau. Je n’ai pas arrêté de le lui dire. Si tu savais combien je retrouve Aurélien en lui ces derniers temps... Il a la même obsession dans le regard, il fait des secrets, il ne parle que du grimoire des Huldres. Il prétend qu’il est sur le point de le trouver, de te le reprendre. Toute cette histoire le rend complètement paranoïaque et même… inquiétant. Il nous a cloîtrés au milieu de nulle part, il garde ta fille arbitrairement, il entraine tout le monde dans son délire : Noé, Bo, ses amis… J’ai parfois peur de ce qu’il fera ensuite. Je n’en peux plus. Je veux que ça s’arrête. Je veux récupérer mes fils, que tout redevienne comme avant…
— Cette histoire a fait suffisamment de mal à ta famille, reprit-il, compatissant.

Il s’assit à ses côtés et, alors qu’elle était si proche de lui, il sentit son parfum, légèrement différent de celui qu’elle portait d’ordinaire. C’était une fragrance agréable, fleurie, délicate. Il regarda Gwen longuement, essayant de voir dans ses yeux si elle disait la vérité, si elle le croyait réellement innocent. Ses propos semblaient sincères, son regard également. Non, il n’avait aucun doute : Gwen ne jouait pas la comédie. Elle croyait fermement que son fils devenait fou et qu’il était le seul sur qui elle pouvait compter. Il devait donc jouer le jeu encore un peu pour retrouver Clémentine et son grimoire.

— Tu as eu raison de venir me voir. Nous allons aider nos enfants et nous occuper de mettre un terme à tout ça. Nous allons trouver une solution.
— Merci, Gauthier. Merci.

Elle l’embrassa doucement, un peu hésitante, mais il répondit à son baiser et ses derniers doutes s’envolèrent aussitôt.

— Je suis tellement navrée pour ce qui s’est passé entre nous dernièrement… Je n’aurai pas dû m’emporter comme cela à cause de Clémentine, murmura-t-elle en écartant ses lèvres des siennes.
— Ce n’est pas grave. N’en parlons plus. Il y a plus important.

Il la prit dans ses bras pour la réconforter et elle se laissa faire, glissant ses mains dans son dos.

— Il faut trouver un moyen pour qu’il nous écoute, qu’on puisse lui montrer qu’il se trompe d’ennemi.

Gwen se redressa pour le regarder dans les yeux. Elle s’écarta de lui pour s’enfoncer dans le dossier du canapé, jouant à nouveau nerveusement avec son alliance.

— Qu’y a-t-il ?
— Rien, je…

Elle se mura dans le silence. Il la voyait hésiter. Que lui cachait-elle d’autre ?
Il reprit ses mains dans les siennes.

— Aies confiance en moi.
— Bien sûr que j’ai confiance en toi.
— Alors, parle-moi. Je suis là pour t’aider.

Elle soupira longuement, rassemblant son courage, et se décida.

— J’ai peut-être un moyen d’arrêter Quentin. Il y a des années, Aurélien a trouvé quelque chose pouvant bloquer la magie des changelins.
— Quoi ? Comment ça ?
— Je n’en sais rien. Il m’a juste dit qu’il avait caché un artefact très ancien, que s’il lui arrivait malheur et que Quentin perdait le contrôle, il faudrait l’utiliser. Il craignait que les ombres ne gagnent en influence et finissent par le changer. C’est peut-être ce qui est en train d’arriver, à cause du stress ou de son lien avec Bo, je ne sais pas. Aurélien prétendait que cela agirait comme un calmant, que ça endormirait ses ombres.
— Ce qui nous permettrait de le raisonner, fit Gauthier en refreinant son intérêt.
— Je l’espère. Je ne supporterai pas de le perdre, ni Noé. Ils sont tout ce qui me reste. Mais s’il m’en voulait…
— Ne t’inquiètes pas de ça. Une fois redevenu lui-même, il comprendra. C’est un jeune homme intelligent. Où est-ce qu’Aurélien a caché cet objet ?

Les yeux de Gwen cherchèrent quelque chose dans ceux de Gauthier, peut-être une confirmation qu’elle pouvait réellement compter sur lui.

— Là où personne n’irait le chercher : en Bretagne, dans ma maison natale, répondit-elle finalement.

Gauthier félicita intérieurement Aurélien pour ce coup de maître. S’il entendait Gwen lui parler, il devait se retourner dans sa tombe !

— Il ne faut pas perdre de temps, alors. Ne laissons pas nos enfants attendre plus longtemps.

Gwen hocha la tête et se glissa à nouveau contre lui, la tête sur son cœur. Il la serra dans ses bras. La première étape serait donc de récupérer ce qu’Aurélien avait caché. La seconde, de reprendre son grimoire. La troisième, de mettre Quentin hors d’état de lui nuire. Gwen lui avait naïvement donné le prétexte idéal pour cela. Il n’aurait plus ensuite qu’à insérer une ombre dans Noé et à réconforter Gwen d’une énième tragédie. Les choses se profilaient enfin dans la bonne direction.
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Message par Gwen Lafey Lun 14 Sep - 22:08

***

Il était presque 17 heures quand ils arrivèrent enfin au domaine des Lafey. La route avait été longue et s’était faite majoritairement dans le silence, chacun étant plongé dans ses pensées.

— Lénaig n’est pas là ? demanda Gauthier en constatant l’absence du Kangoo.
— Elles sont parties à Rennes jusqu’à demain. C’est une chance, elles ne poseront pas de questions.

Gwen prit une grande inspiration en sortant de la voiture pour profiter des odeurs du jardin et de celle du lac.  Des langues de brume flottaient au-dessus de l’eau, rampant du centre vers ses rives, léchant déjà les ruines du vieux château. Elle les observa longuement, puis détourna les yeux.

— Allons prendre un café. Ça nous fera du bien, proposa-t-elle en lui prenant la main.

Gauthier se laissa entraîner sans résistance jusqu’à l’intérieur du manoir principal et s’installa dans le salon pendant qu’elle disparaissait dans la cuisine. L’homme était épuisé. Il n’avait plus l’âge de passer des nuits blanches, et les quelques heures de sommeil qu’il avait réussi à prendre n’avaient pas suffi à le requinquer. Si encore il n’avait eu qu’à récupérer de sa mésaventure avec les RG, mais ces derniers jours, il avait préparé sa contre-offensive contre Quentin et cela lui avait pris beaucoup de temps et de magie pour préparer son armée de golems. Mettre des ombres dans toutes ces sculptures n’était pas une tâche aussi facile que dans un être de chair et de sang. Les Ombres préféraient un corps humain plutôt qu’un corps de pierre et leur ancrage demandait une dose de magie supplémentaire, si bien qu’il avait épuisé toute sa réserve de celle volée aux changelins. Si les Ombres avaient été moins éveillées et moins avides de vivre, comme celle qu’il avait donnée à Lexie pour sa mission en Angleterre, il n’aurait pas utilisé autant de magie. Au moins cela avait-il été plus facile avec sa dernière expérience et l’Oaf qu’il avait créé la veille. Il espérait d’ailleurs que celui-ci serait plus loyal qu’Olivier et moins décevant que celle qu’il avait placée à DLS. Tant d’énergie gâchée pour une chose incapable de lui servir ! S’il ne l’avait pas encore annulée, c’était bien parce qu’il comptait se servir d’elle pour tester d’autres sortilèges du Grimoire.
Son portable sonna, affichant un sms de Glen Velikan.

"Je l’ai localisée à Saint-Pée-sur Nivelle, au pays Basque. Tout est en place pour ce soir. "

Gauthier poussa un soupir de soulagement. Avec Gwen dans les pattes, il n’avait pas pu chercher lui-même où Quentin avait caché Clémentine. Il avait dû déléguer cette tâche à l’Américain qui s’était montré efficace pour une fois. Glen Velikan avait ses ordres, le nouvel Oaf aussi. Demain matin, la majeure partie de ses ennuis serait réglée, le grimoire lui serait rendu et les changelins seraient à lui.

— Et voilà, l’interrompit Gwen en entrant avec un plateau. Nous nous occuperons du reste ensuite.

Elle s’assit à côté de lui et lui tendit une tasse de café avec une touche de crème, comme il l’affectionnait. Pour sa part, elle sirota une tisane de fleurs dont Lénaïg avait elle-même créé le mélange. Elle avait allumé une bougie dont le parfum était identique à celui qu’elle portait aujourd’hui. A peine avait-il terminé son café qu’il piqua du nez.

— Tu as l’air fatigué, fit-elle remarquer à Gauthier.
— Non… Je…

Mais il sentait un énorme coup de barre lui tomber dessus.

— Tu devrais dormir un peu, dit-elle doucement en le poussant à mieux s’installer dans le fond du canapé.

Gauthier fut incapable de protester. Quelque part loin dans son esprit, une alarme s’était allumée, mais il était tellement engourdi qu’il ne pouvait plus l’écouter. Il avait l’impression de flotter dans un nuage de bien-être, sa vision devenue floue, et il sombra sans plus tarder.
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Message par Gwen Lafey Lun 14 Sep - 22:09

***

Quand Gauthier émergea, il était seul. La grande horloge du salon affichait seulement 19 heures, mais il faisait nuit noire et la maison n’était éclairée que faiblement par quelques bougies disséminées çà et là.

— Gwen ?

Le silence lui répondit, mais cela n’éveilla ni suspicion, ni méfiance chez lui. Il sortit du salon, suivant les bougies vers l’extérieur. Le domaine était pris dans un brouillard épais qui plongeait les lieux hors du temps. Il ne pouvait même pas voir sa voiture et encore moins les autres bâtiments. Il avança de quelques mètres, continuant à suivre les lumignons posés au sol quand une lanterne apparut devant lui, comme sortie de nulle part.

— Tu es enfin réveillé.
— Gwen ?

Un instant, Gauthier crut être tombée nez à nez avec celle qu’Aurélien lui avait présentée, plus de 30 ans auparavant : une étudiante un peu bohème, dans la vingtaine, aux cheveux longs et raides cascadant sur ses épaules. Il cligna des yeux et son souvenir se superposa à la Gwen d’aujourd’hui, avec son carré long, ses petites rides au coin des yeux et son air de grande dame. Elle avait troqué sa jupe droite, son chemisier de satin et ses bijoux pour une tunique blanche à l’allure médiévale, brodée de motifs celtiques dans le bas, les poignets et le col, la taille resserrée par une large ceinture tissée. Elle était pieds nus malgré le gravier et l’air frais.

— Viens avec moi.

Gauthier obéit, ayant du mal à discerner la frontière entre le rêve et la réalité. Gwen marchait quelques pas devant lui, sa lanterne toujours en main, prenant la direction du lac. Le brouillard s’écartait sur leur passage. Seules des langues de brumes traînaient au sol, engloutissant leurs pieds jusqu’aux mollets, et il n’avait d’autre choix que de suivre son guide. Des murmures résonnaient autour d’eux et, un instant, Gauthier crut voir des mouvements fugaces dans le brouillard.
Les graviers laissèrent finalement la place au bois du ponton. Le clapotis de l’eau sur les rives du lac était couvert par les chuchotements qui avaient enflé. Certaines voix étaient aussi profondes que le lac, d’autres aussi légères que la brise, d’autres encore rappelaient la fraîcheur des bois, le moelleux de la mousse ou le crissement de petits cailloux. Gauthier essaya de distinguer des paroles, des mots, mais le langage lui restait aussi étranger que la magie des Huldres.
Au bout du ponton se trouvait une barque d’un bois si blanc qu’il captait la lumière de la lanterne. Une silhouette masculine sortit de l’eau lentement, restant immergée jusqu’à la taille. L’être avait la peau nacrée, peut-être même parsemée de petites écailles chatoyantes. Sa musculature était fine, presque délicate, et pourtant on sentait qu’il n’avait rien de fragile. Ses longs cheveux noirs étaient coiffés de petites tresses dans lesquelles se perdaient des algues et de minuscules coquillages. Il posa sur Gwen ses yeux de la couleur du lac, aussi insondables que lui, et tendit la main vers elle. Elle y déposa un objet que Gauthier ne put distinguer et l’Esprit du Lac hocha la tête avant de nager jusqu’à la proue de la barque.

— Allons-y.

Encore une fois, Gauthier obéit sans poser de question. Alors qu’ils venaient tous deux de s’installer, plusieurs Esprits du Lac sortirent la tête de l’eau. Deux d’entre eux poussèrent l’embarcation pour qu’elle s’éloigne du ponton. Les autres l’escortaient en silence alors que les murmures dans la brume continuaient de plus belle. Gwen plongea sa main dans l’eau, regardant droit devant elle. La créature à qui elle avait payé le passage caressa doucement ses doigts et elle sentit un frisson de magie remonter le long de son bras, comme un encouragement, mais elle résista à l’envie de tourner la tête vers elle.

— Voici les Portes d’Avalon, murmura-t-elle.

La brume se leva sur le centre du lac, dévoilant une île que Gauthier n’avait jamais vue, et ils accostèrent à un unique ponton fort semblable à celui d’où ils étaient partis. Les Esprits du Lac, le corps nu et glabre ruisselant d’eau, les rejoignirent sur la terre ferme pour les accompagner.
L’île était épargnée par le brouillard et la nuit était si claire qu’on pouvait se dispenser de lanterne. Les étoiles paraissaient plus proches, plus lumineuses que d’ordinaire, accentuant encore le côté irréel des lieux. Les constellations mêmes semblaient différentes.
Ils avancèrent en silence sur l’unique sentier de terre battue. Le chemin était bordé de pommiers centenaires aux troncs noueux, chargés de fruits mûrs bien que ça ne soit pas encore la saison. L’air embaumait du parfum des fleurs de printemps et on devinait des champs de céréales dans le lointain. De nombreuses lucioles dansaient entre les arbres et les fleurs. On n’entendait cependant aucun oiseau de nuit, ni aucun insecte. Gauthier semblait être le seul à percevoir les voix qui continuaient à murmurer dans l’obscurité, accroissant son malaise que n’arrangeait pas la compagnie intimidante des Esprits du Lac.
Ils parvinrent jusqu’à une construction circulaire ouverte sur le ciel. Les hauts murs de pierre disjointes étaient très anciens et couverts de mousse. A l’intérieur comme à l’extérieur, de l’aubépine et des fougères poussaient à leur pied. Au centre exact de l’enceinte, se trouvait un trou d’eau au-dessus duquel voletaient des lucioles bleutées. Le reste du sol était simplement recouvert d’une herbe tendre légèrement humide.
Gauthier regarda autour de lui. Les voix s’étaient tues, mais il se sentait observé par des centaines d’yeux invisibles. Il crut entendre des petits pas derrière lui, mais ne vit personne.

— Pourquoi sommes-nous ici ? demanda-t-il finalement.
— Je te l’ai dit : il est temps que ça s’arrête.

Gwen se tourna vers lui. Ce qu’il vit dans son regard le ramena à la réalité et il comprit enfin : son parfum ! Ce devait être une de ses potions. Elle avait endormi sa méfiance et il l’avait suivie jusqu’ici comme un mouton à l’abattoir !

— Je ne t’aurai jamais crue capable de jouer si bien la comédie, fit-il sans chercher à la convaincre qu’elle se trompait.

Il essaya de faire un pas et de bouger les bras, mais ses membres étaient de plomb, comme retenus par des dizaines de mains invisibles. Il sentait le poids de leurs propriétaires sur son corps sans être capable de savoir de quoi il s’agissait.

— Ce que j’ai mis dans ton café t’empêche de te servir de la magie que tu as volée, fit-elle en se plantant devant lui.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? Me tuer ?
— La mort serait trop douce pour toi, répondit Lénaïg en pénétrant dans l’enceinte de pierre.
— Nous avons bien mieux en réserve, ajouta Viviane à son tour.

Les tantes étaient vêtues de la même façon que Gwen. Seules les couleurs des broderies de leurs robes et de leurs ceintures différaient.
Toutes les trois se réunirent autour du trou d’eau. Lénaïg et Viviane étaient loin de ressembler aux vieilles femmes décalées qu’elles étaient d’ordinaire. Un pouvoir ancien se dégageait d’elles, une certaine sagesse également. Elles n’étaient plus les deux originales vivant au fond des bois, ne pensant qu’à leurs fleurs ou à changer la décoration du manoir, mais des sorcières détentrices d’un savoir séculaire, les véritables héritières de la Fée Viviane et de l’enchanteur Merlin. Elles interrogèrent Gwen silencieusement du regard. Celle-ci hocha la tête et les trois femmes tendirent la main gauche au-dessus de l’eau. A l’aide de leur petit couteau d’or rituel, elles tracèrent un sillon au creux de leur paume et laissèrent leur sang couler dans l’eau, prononçant quelques phrases en breton ou en gaëlique que Gauthier ne comprit pas. Quand il voulut les interrompre, une main invisible se posa sur sa bouche, l’empêchant de parler.
La dernière goutte de sang tombée dans l’eau, il y eut comme une vibration dans l’air qui partit du trou d’eau pour se répandre jusqu’aux murs d’enceinte et l’invisible devint visible.
Les Esprits du Lac étaient loin d’être les seuls à assister au jugement de Gauthier. D’autres créatures de toutes tailles, tous âges et tous genres étaient réunis comme autant de membres d’un tribunal populaire attendant l’exécution. Ils étaient des dizaines, peut-être plus d’une centaine, la plupart debout, certains assis sur le rebord des murs. D’autres encore, les plus petits mais certainement pas les moins vindicatifs, étaient agrippés à Gauthier, démontrant une force incroyable qui le tenait immobile aussi sûrement que s’il avait été lesté de plomb.
L’homme parcourut l’assemblée des yeux avec mépris. Il tentait de refouler la peur qui commençait à le gagner face à autant d’êtres magiques. Il ne voulait pas leur donner cette satisfaction, ni à eux, ni à Gwen.
Certaines créatures, petites et tordus, ressemblaient un peu à Bob, à l’exception que leur corps n’était pas de pierre, mais de bois. Leur peau brunâtre était aussi noueuse que l’écorce et leurs cheveux hirsutes rappelaient des brindilles sèches prêtes à rompre. Leurs petits yeux brillaient comme des diamants noirs alors qu’ils restaient fixés sur Gauthier, se murmurant des choses d’une voix ressemblant étrangement aux bruissements des feuilles des arbres.
D’autres à peine plus grandes ressemblaient à des humains en plus ronds, autant à cause de leur nez que de leur silhouette pleine de bonhommie. Leur visage était mangé par une longue barbe et leur chevelure soyeuse était coiffée d’un chapeau plat garni d’un long ruban qui n’aurait pas dépareillé sur un costume folklorique local.
Dans toute cette assemblée masculine se tenaient des femmes de tous âges, au corps légèrement transparent : des lavandières avec leur battoir ou encore des fileuses avec leur fuseau sur lequel était enroulé un fil d’une blancheur éclatante. Quelques-unes se déplacèrent jusqu’à lui pour cracher à ses pieds ou le maudire en breton.
L’eau devant les trois sorcières se mit soudain à bouillonner, ramenant le silence. Des gouttelettes et des serpentins s’élevèrent en nombre en tourbillonnant, se regroupant, attirés les uns par les autres dans un ballet hypnotique. Peu à peu, se dessinèrent dans l’air les contours d’une silhouette féminine. L’eau devint peau, tissu, cheveux, puis, Viviane, la Dame du Lac, apparut, aussi évanescente que les Fées de l’assemblée. Sa robe et sa longue chevelure auburn parsemée de coquillages et de gouttelettes d’eau comme autant de pierres précieuses flottaient autour d’elle comme si elle était toujours sous l’eau. La couleur de sa peau et de ses yeux rappelait les Esprits du Lac.
Elle parcourut l’assemblée du regard, puis se pencha vers les sorcières.

— Mes enfants, filles du Lac et de Merlin, vous nous avez convoqués en cette nuit et je me dois de réclamer votre paiement.

Elle porta son attention vers Gwen et lui sourit avec gentillesse et compassion.

— Es-tu bien sûre que c’est ce que tu veux ?
— Oui, ma Dame.
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Message par Gwen Lafey Lun 14 Sep - 22:09

La Fée Viviane sembla attristée un instant, mais acquiesça. Elle posa la même question aux tantes qui répondirent exactement la même chose. Dame Viviane fit alors voleter vers elles les lucioles suspendues au-dessus de l’eau. Elles évoluèrent autour d’elles, changeant de couleur avant de revenir à la Dame du Lac. Celle-ci leva alors les mains et un grand miroir ovale sortit de l’eau. Il était d’une simplicité déconcertante, sans cadre, ni fioriture, à la surface un peu tâchée.
Gwen rangea son petit couteau rituel dans la bourse à sa ceinture et en sortit un encore dans son étui. La lame portait le nom de celui à qui elle avait été destinée et qui ne l’utiliserait jamais : Thomas. Elle s’approcha de Gauthier et sans une hésitation, fit sauter les boutons de sa chemise. Aussitôt, les korrigans écartèrent le tissu pour dévoiler son torse. Elle posa l’extrémité de la lame d’or sur son plexus, plongeant ses yeux dans les siens.

— Toutes ces années, le chagrin et la peur ont brisé mon cœur et mon âme. Tout ça par ta faute. Je sais que je suis en tort aussi. Je me suis trop reposée sur Aurélien et même sur Quentin. Aujourd’hui, je vais protéger mes fils, Bo, ma famille…
— Avoue que tu es surtout contrariée parce que tu as laissé entrer l’ennemi dans ton lit, cracha-t-il.
— Je m’en veux surtout de ne pas avoir compris alors que c’était si évident... Pour le reste, tu ne me laisseras pas un souvenir impérissable.

La brume entrait maintenant par les portes de l’enceinte, rampant au sol jusqu’au trou d’eau au-dessus duquel flottait toujours Dame Viviane. Des volutes de brume s’échappèrent, prenant une forme humaine de plus en plus précise. Gauthier écarquilla les yeux en voyant apparaître des fantômes au corps transparent, aux contours volatiles, mais aux traits bien reconnaissables. Ils n’étaient pas seuls : une poignée d’Ombres les rejoignait, accompagnée du bruissement des feuilles et du sifflement du vent. Noires, sans visage ni regard, elles hésitaient entre conserver une silhouette humanoïde ou reprendre leur forme naturelle. Etaient-ils réellement les esprits de ceux dont il avait causé la mort ou n’étaient-ils que des apparitions, des souvenirs censés l’effrayer ?
Gwen resta focalisée sur Gauthier alors que les apparitions se positionnaient derrière elle. Elle sentait leur présence, leur soif de revanche, mais elle devait rester concentrée. Si elle se tournait vers elles, l’enchantement prendrait fin, les portes d’Avalon se fermeraient et Gauthier serait libre.

— Tu les vois, n’est-ce pas ? Les sorciers, les humains et les changelins à qui tu as volé la vie… Tout ce sang pour du pouvoir… Toute cette souffrance…
— Qu’est-ce que tu peux y comprendre ? Tu es née avec la magie, tu l’as toujours sentie en toi. Tu as toujours été une sorcière. Pour quoi d’ailleurs ? Quand on voit ce que tu fais de ton pouvoir…

Le fantôme d’Aurélien posa sa main sur l’épaule de Gwen. Elle ferma les yeux un instant, savourant sa présence. Elle aurait tellement voulu lui dire combien il lui manquait chaque jour, lui parler de Quentin et de Noé, mais elle résista à tourner la tête, se répétant qu’elle ne devait surtout pas le regarder.

— Tu m’as pris trois des êtres les plus chers à mon cœur, fit-elle en appuyant la pointe de sa lame d’or sur le torse de Gauthier. Je dois protéger ceux qui me restent. Tu ne feras plus aucun mal, à personne.

Eric imita son père, serrant l’épaule de Gwen de sa main transparente. A lui aussi, elle aurait eu tant à dire… Son aîné prononça quelques mots vers Gauthier, mais sa voix était inaudible pour les humains. En revanche, son regard était suffisamment éloquent. Derrière eux, François et les autres victimes de l’homme le fixaient de la même façon. Les ombres avaient quitté leur forme humaine pour redevenir serpents agités, prêts à se jeter sur le responsable de leur trépas, et Gauthier sentit une véritable peur lui tordre les tripes.

— Thomas de Lyonesse. Aurélien de Lyonesse. Eric de Lyonesse. Clémentine Gavinski.

Elle s’arrêta au prénom de la jeune fille, prenant conscience que c’était la vérité. Elle ignorait comment et pourquoi, mais Clémentine n’était plus de ce monde, elle non plus. Elle eut de la peine et elle empêcha ses pensées de vagabonder du côté de Noé pour le moment. Elle devait rester concentrée, d’autant plus que les esprits et les ombres derrière elles attendaient leur tour.

— François Bergerac, reprit-elle. Olivier de Lyonesse. Kelly Watson. Tormund Olfarson. Christian Hartmann.

L’une après l’autre, elle appela chaque victime. Elle ne chercha pas à comprendre comment elle savait les noms de celles dont elle ignorait l’existence. Ils lui venaient instinctivement, comme si les fantômes et les ombres les lui soufflaient en passant derrière elle à tour de rôle. A chacun d’entre eux, elle tailladait la peau de leur assassin qui hurla de douleur. La magie volée aux changelins et que le corps de Gauthier contenait encore s’échappa des plaies pour voler jusqu’aux jarres de verre que tenaient Lénaïg et Viviane. Une fois remplies, elles les fermèrent d’un bouchon de liège et les remirent à deux lutins aux chapeaux plats qui disparurent avec.

— Tu peux me tuer, l’interrompit-il avec hargne. J’ai gagné. Tes fils seront morts avant que tu puisses les rejoindre et tu n’auras plus…

Les lutins le bâillonnèrent à nouveau, mais Gwen n’avait même pas tressailli à ses paroles. Si elle avait entendu les menaces pesant sur sa famille, elle restait concentrée sur sa tâche. Dame Viviane venait de lui remettre un voile diaphane empreint de sa propre magie. Autrefois, il avait servi à emprisonner Merlin pour qu’il ne la quitte pas. Gwen le fit tourner neuf fois autour de Gauthier alors que les Esprits du Lac approchaient le miroir. Il ne reflétait plus la réalité, mais uniquement du brouillard, gris, infini.

— Adieu, Gauthier.

Gwen posa sa main à plat sur son torse ensanglanté et les lutins le lâchèrent en bondissant au sol. Elle avança d’un pas et il recula dans le même temps. Gauthier écarquilla les yeux de terreur, sentant qu’il n’était plus aux commandes de son corps. Il ne pouvait plus parler et chaque pas en arrière l’amenait inexorablement vers le miroir. Son regard se fit suppliant mais Gwen restait implacable, son mari et son fils derrière elle. Elle lâcha finalement Gauthier et celui-ci perdit l’équilibre pour tomber dans le miroir. En un instant, la brume l’avala et Gwen resta à la fixer en silence. Il réapparut brusquement pour se jeter sur elle, mais se heurta violemment au miroir. Elle le vit s’agiter, frapper, hurler, mais il était coincé dans sa prison. Dans un autre monde pour l’éternité.
Le fantôme d’Aurélien se pencha à son oreille pour lui murmurer quelque chose et elle crut que son cœur allait exploser. Elle ferma les yeux, deux larmes roulant sur ses joues. Puis, les fantômes ôtèrent leurs mains de ses épaules. A peine le contact rompu, Gwen tomba au sol, inconsciente.
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Message par Linaë Lun 14 Sep - 22:10

***

— Non, non, non. Je te dis que c’est « Agave 120 ».
— Pourquoi donnent-ils des noms aussi idiots à des peintures. Ça se voit que c’est vert d’eau, tout de même.
— Ma chérie, c’est comme si je te disais que les pâquerettes et les marguerites sont la même chose parce que ce sont des Astéracées.

Viviane sembla trouver cela très drôle et son rire de petit cochon acheva de ramener Gwen à la réalité. Elle était allongée sur le canapé, toujours habillée de sa tunique blanche.

— Je préfère le papier peint, fit-elle d’une voix encore mal assurée.
— Gwen ! Te voilà revenue parmi nous.

Les deux tantes se penchèrent au-dessus d’elle, soulagées de la voir reprendre conscience, mais toujours inquiètes.

— Est-ce que j’ai…
— Oui, répondirent-elles ensemble.
— Tu as réussi, enchaîna Lénaïg.
— Il est enfermé dans le miroir, continua sa soeur.
— Et le miroir est dans la demeure de Dame Viviane.
« A Avalon, donc, » songea Gwen. « Là où personne ne pourra jamais le trouver et d’où il ne pourra jamais sortir ».

Elle posa sa main sur son épaule gauche, là où le fantôme d’Aurélien l’avait touchée. Elle l’avait senti si près d’elle et si loin à la fois. Comme Eric. Elle réalisa soudain qu’elle n’avait pas senti la présence de Thomas. Elle avait commencé la liste des victimes de Gauthier par son fils, mais son âme n’était pas venue à elle. Qu’est-ce que cela signifiait ?

— Quelle heure est-il ? demanda-t-elle plutôt.
— Presque 21 heures. Ne t’en fais pas : tout va bien, répondit Lénaig en l’aidant à se redresser.
— Oh, j’ai mal à la tête…
— Je vais te chercher quelque chose, fit aussitôt Viviane en se précipitant hors du salon.

Gwen jeta un œil à la vieille horloge dont le balancier oscillait à un rythme régulier. Le domaine tout entier avait été figé dans le temps par les brumes venues d’Avalon, mais il avait repris son cours maintenant que Gauthier avait reçu son châtiment et que les Portes s’étaient refermées.

— Il faut que j’appelle les garçons, fit-elle en cherchant son portable des yeux, repensant à Clémentine.
— Tu vas les affoler. Tout est terminé, Gwen. C’est fini, la rassura Viviane en lui tapotant gentiment la main.

Gwen lâcha un soupir et reposa sa tête contre le dossier du canapé.

— Pas tout à fait. Il reste Bo à sauver, murmura-t-elle.
— Mais ce n’est pas entre tes mains, lui rappela sa tante. Il faut te reposer maintenant. Tu as utilisé beaucoup d’énergie et de magie cette nuit.
— Vous m’avez ramenée jusqu’ici ? s’étonna-t-elle soudain, n’arrivant pas à les imaginer la porter ou seulement avec difficulté.
— Oh non, s’amusa Viviane en arrivant avec un plateau contenant une théière de tisane et un remède maison contre le mal de tête. C’est Linaë qui t’a portée.

Elle haussa les sourcils avec un sourire entendu à la mention de l’Esprit du Lac.

— Tu as toujours été sa petite préférée, ajouta-t-elle en riant à nouveau de cette manière si particulière.
— Mais… non… répondit Gwen en rougissant légèrement.
— Oh si !
— D’ailleurs, il t’attend. Il veut te parler.

Gwen ne demanda pas ce qu’il voulait. Ses tantes l’ignoraient certainement. Elle les observa tour à tour.

— Merci, à toutes les deux. Je ne sais comment…
— Ah, ne commence pas, la gourmanda Lénaïg.
—Si on ne peut pas se débarrasser du Vilain ensemble, alors à quoi sert la famille ? ajouta Viviane en s’asseyant à ses côtés.

Elle caressa doucement les cheveux de sa nièce dans un geste rempli d’affection.

— Mais les Portes d’Avalon ne s’ouvriront plus avant un moment, rappela Lénaïg.
— En même temps, ce n’est pas comme si on avait un autre ennemi à y amener, répliqua Viviane en haussant les épaules.

Elle regarda sa sœur et sa nièce, moins sûre d’elle tout d’un coup.

— Nous n’en avons pas, n’est-ce pas ?
— A part ton conseiller-bricolage ? répliqua Lénaïg pour détendre l’atmosphère.
— Ah, ne recommence pas : « Agave » n’est pas « vert d’eau ».
— Mais oui, mais oui.

Gwen sourit en les entendant recommencer à se chamailler comme d’habitude et souffla sur sa tisane brûlante. Elle repensa à Thomas, à Clémentine, à Eric aussi, et surtout aux derniers mots d’Aurélien qu’elle garderait au fond d’elle comme un cadeau des plus précieux.
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Message par Linaë Lun 14 Sep - 22:12

Dix minutes plus tard, elle sortait du manoir, resserrant son châle sur ses épaules, pour prendre la direction du lac. Le brouillard finissait de disparaitre, rendant peu à peu son allure habituelle au paysage qu’elle connaissait par cœur, et on entendait à nouveau les grenouilles.
Elle s’assit au bord du ponton, ses pieds nus frôlant l’eau.

— Linaë, appela-t-elle tout bas en regardant l’endroit où s’étaient trouvé les Portes d’Avalon.

A peine avait-elle prononcé son nom que l’Esprit du Lac apparut devant elle. Ses yeux avaient la teinte exacte de l’eau dans laquelle il se tenait.

Gwenaëlle.

Sa voix était aussi fraîche et aussi calme que le lac. Il s’exprimait dans une langue étrange, mais que toutes les femmes Lafey comprenaient sans mal. Il nagea vers elle et sortit un peu plus de l’eau, le fond remontant vers la rive. Il était toujours aussi nu, ses longs cheveux noirs plaqués sur sa peau irisée trempée. Il posa ses mains sur les genoux de Gwen qui frissonna légèrement, autant à cause de la température que des souvenirs que cela pouvait raviver. S’il sentit son trouble, il n’en montra rien. Il leva une de ses mains vers elle. Au creux de sa paume se trouvait l’objet qu’elle lui avait donné cette nuit. Elle regarda l’alliance, puis les yeux de l’Esprit du Lac.

Ceci t’appartient.
— Non, c’est à toi maintenant, fit-elle en refermant la main de l’être sur le bijou.

De son autre main, elle attrapa le collier à son cou et lui montra l’alliance d’Aurélien qui y pendait.

— J’ai toujours la sienne et je n’ai pas besoin de ça pour me rappeler de ce que nous avons vécu ensemble.

Linaë fit « non » de la tête et glissa l’alliance dans la main de Gwen.

C’est important pour toi, je le sais. Je le sens. Je n’ai pas besoin que tu me payes le passage cette fois. Cet homme t’a fait du mal. Je l’aurai dépecé pour toi, j’aurai rongé ses os jusqu’à ce qu’il n’en reste rien.

Bien que ces mots en eussent effrayé plus d’un, Gwen sourit légèrement devant leur sincérité. Elle se pencha pour glisser sa main sur la joue de l’Esprit du Lac dans un geste tendre.

— Je sais, mais c’était à moi de protéger ma famille. Il était hors de question que ce fardeau retombe sur les épaules de Quentin ou de Noé.
Tu ne voulais pas qu’il meurt : tu voulais qu’il souffre, constata-t-il sans une once de jugement.
— Oui.

Elle détourna le regard, mais mêla ses doigts aux siens. Elle n’aurait jamais cru être du genre à chercher la vengeance et, surtout, à s’en satisfaire, mais Gauthier lui avait fait trop de mal.

— 26 ans. J’ai passé 26 ans dans le chagrin et l’angoisse à cause de lui. Alors, oui, je veux qu’il souffre, admit-elle à voix basse. Autant que moi, que Thomas, Aurélien, Eric, Alexis, Bo... Je veux qu’il en perde la raison, qu’il supplie la mort de le prendre et qu’il désespère de comprendre que cela n’arrivera jamais. Rien ne me rendra ceux que j’ai perdu, mais je me satisferais de savoir qu’il pourrit dans les limbes pour l’éternité et qu’il sait que c’est moi qui l’y ai envoyé.

Elle releva les yeux vers l’Esprit du Lac. Il était le seul à qui elle pouvait avouer les choses de cette manière. Elle ne craignait pas ce qu’il pourrait penser d’elle ni d’écorner son image de mère ou de dame du monde.

Combien Dame Viviane t’a-t-elle demandé ? fit-il finalement.
— Cela n’a aucune importance. Je ne regrette absolument rien.

Il la regarda longuement, cherchant dans ses yeux ce qu’elle ne lui disait pas. Elle se détourna la première. Soutenir le regard d’un Esprit du Lac n’était pas facile pour un humain, y compris pour une Lafey. Elle n’eut rien le temps de dire qu’il l’attrapa par la taille pour qu’elle le rejoigne dans l’eau. Il l’avait soulevée comme si elle ne pesait rien.

— Linaë… Qu’est-ce que tu fais ?

Il reprit sa main et glissa l’alliance à sa place, puis il la prit par les hanches. Il était bien plus grand qu’elle, peut-être aussi grand que Thanasaurius, et il était au moins aussi surnaturel.

Ton ennemi est vaincu. Tu es plus sereine maintenant. C’est bien.

Il leva une de ses mains humides jusqu’à la joue de Gwen. Combien de fois s’étaient-ils retrouvés dans ce genre de position lorsqu’elle était plus jeune ? Combien de fois avait-elle fini dans ses bras ? Elle n’avait jamais su quelle était la teneur exacte des sentiments de Linaë, mais il avait été son premier amour.
L’Esprit du Lac porta finalement sa main à ses tresses et détacha une perle de nacre qu’il lui tendit.

— Non, Linaë. Je n’en ai pas besoin, protesta-t-elle aussitôt.
Elle ne compensera pas tout à fait le prix payé à Dame Viviane, mais je la partage volontiers avec toi. J’en offrirai une à chacune de tes tantes, tu n’as pas à t’en faire.

Le regard de Gwen passa des yeux de Linaë à la perle de nacre. Sa magie était palpable, chaleureuse, presque lumineuse. Pour l’Esprit du Lac, elle ne représentait qu’un battement de cils dans le long flot de son existence. Pour elle, c’était des années de vie. Convoquer la Fée Viviane, ouvrir les Portes d’Avalon, réunir l’assemblée du Petit Peuple lui en avaient couté un certain nombre, même si ses tantes avaient tenu à partager son fardeau. C’était un cadeau précieux que leur offrait Linaë.

— Merci.
Tu vas être heureuse maintenant. Ta vie va prendre un nouveau tournant, petite sorcière.

Il déposa la perle sur sa langue et se pencha vers Gwen pour l’embrasser longuement, la laissant avaler son présent. Aussitôt, elle sentit la fatigue s’envoler et l’énergie envahir toutes les fibres de son corps, les années offertes à Viviane revenant en elle. Quand il lui ôta sa robe et l’entraina plus loin dans le lac, elle ne résista pas. Bien au contraire, elle glissa ses bras autour de son cou, répondant un peu plus à son baiser, comme autrefois. Une douce chaleur naquit au creux de son ventre alors qu’il caressait sa peau avec plus d’avidité. Sous ses mains et ses lèvres, elle retrouvait des sensations qu’elle avait cru avoir perdues à la mort d’Aurélien et que Gauthier n’avait jamais réussi à lui rappeler. Chaque caresse effaçait un peu plus les craintes et le chagrin qui avaient été son quotidien toutes ces années. Elle se sentait merveilleusement bien alors qu’elle s’abandonnait à son étreinte et un instant, elle crut avoir été transportée plus de trente ans en arrière, quand ils s’aimaient dans ces mêmes eaux et que sa vie était bien plus simple.
Un jour, Aurélien lui avait dit que le seul rival sérieux dans son cœur n’était pas ce fiancé qu’elle s’était trouvée, et qu’elle n’aurait pas hésité une seule seconde si Linaë lui avait demandé de rester ici pour être à lui. Elle s’était moquée de sa jalousie, mais il n’avait pas été loin de la vérité malgré tout. Ce que son mari n’avait jamais su, c’était qu’elle avait bel et bien refusé la proposition de l’Esprit du Lac pour partir à Paris, parce que c’était avec Aurélien qu’elle voyait son avenir et qu’elle voulait une famille.

Leur étreinte se termina sur le ponton et l’Esprit du Lac la garda contre lui un long moment, caressant doucement son dos et ses cheveux. Les yeux fermés, la tête sur la poitrine de Linaë, Gwen écoutait le silence autour d’eux, uniquement rythmé par le lent clapotis de l’eau.
Il la bascula finalement sur le dos avec douceur pour plonger ses yeux dans les siens et caresser sa joue et ses lèvres du bout des doigts. Gwen ne s’était jamais sentie aussi bien de toute sa vie, comme si elle venait de renaître. Linaë n’avait pas fait que lui rendre les années offertes à Dame Viviane, il l’avait fait se sentir désirée et désirable comme elle ne l’avait plus été depuis longtemps, il avait effacé tous ses doutes et ses craintes. Son corps et son âme étaient désormais apaisés et elle sentait une énergie nouvelle parcourir son être si bien qu’elle se demandait si l’Esprit du Lac ne lui avait pas transmis un peu de sa propre magie.

Il faut que tu rentres auprès de tes fils, Gwenaëlle. Ils ont besoin de toi, murmura-t-il avant de l’embrasser avec langueur.

Il rompit le baiser au grand regret de la sorcière, puis se leva avant de l’aider à faire de même. Elle était aussi nue que lui, mais sa peau humide frissonnait sous la fraîcheur de la nuit. Il ramassa le châle par terre et le lui posa sur les épaules en murmurant quelque chose. Le vêtement de laine se mit à luire doucement avant de disparaître pour être aussitôt remplacé par une robe faite d’un tissu fluide composé de minuscules écailles vertes et d’argent et brodé d’algues et de coquillages.
Il traça ensuite un signe sur son front et aussitôt, un sortilège de lumière se grava dans l’esprit de Gwen. Elle sut qu’elle le maîtriserait sans problème comme si elle l’avait toujours connu.

Ma magie coule en toi, reprit-il. Elle te sera utile pour aider tes enfants.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? Linaë…
Tu n’as pas à t’en faire : le temps s’est écoulé différemment ici cette nuit.
— Explique-moi ! exigea-t-elle en tentant de refouler la panique qui menaçait de l’envahir à l’idée que Noé et Quentin soient encore en train de lutter pour leurs vies.

Il prit son visage entre ses mains et se pencha pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Les yeux de Gwen s’écarquillèrent de surprise et d’horreur, mais une lueur dangereuse y brilla soudain.

— Ne perdons pas de temps, fit-elle en s’écartant.

Linaë hocha la tête, satisfait de la voir si combative, puis plongea dans le lac. Il réapparut aussitôt et posa sa main à la surface de l’eau. Une vague concentrique se répercuta dans tout le lac et l’eau se mit à bouillonner non loin de Linaë avant qu’une créature aquatique en sorte dans une gerbe d’éclaboussures. Le corps du cheval était transparent, entièrement composé d’eau mouvante, sa crinière d’écumes et d’algues mêlées, ses yeux de la même couleur que ceux de Linaë.

Je ne peux t’accompagner en personne, expliqua l’Esprit du Lac avec un regret manifeste. Mais le cheval t’amènera jusqu’à Noé et je verrais à travers ses yeux.

Il aida Gwen à monter sur sa monture magique. Elle s’accrocha à la crinière liquide des deux mains.

Tu es forte, Gwenaëlle. Bien plus que tu le crois. Tu les sauveras.

Elle remercia Linaë d’un regard. L’Esprit du Lac s’écarta et sans quitter les yeux de Gwen, il donna un ordre à la créature d’eau qui plongea sans attendre dans les profondeurs du lac, entrainant sa cavalière avec lui.
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