Le Deal du moment :
Cartes Pokémon EV6.5 : où trouver le ...
Voir le deal

Chapitre 24 - Dans l'ombre

Aller en bas

Chapitre 24 - Dans l'ombre Empty Chapitre 24 - Dans l'ombre

Message par Olivier de Lyonesse Lun 13 Juil - 22:48

Jeudi 23 mai au soir

— Où est-il ?

Gauthier entra dans l’appartement à peine la porte ouverte, poussant Glen Velikan de son chemin. L’Américain prit sur lui pour ne rien dire et referma aussitôt derrière lui.
La colère de Gauthier était palpable et Glen la partageait. Tous les deux s’étaient fait doubler, le Français par sa propre création, l’Américain par sa propre nièce. Qu’ils n’aient rien vu, ni rien pressenti ne faisait qu’accroître leur ressentiment à l’égard du duo infernal.

— Dans la chambre du fond.

Gauthier traversa le salon sans adresser un regard aux autres occupants de l’appartement. Eux ne l’ignorèrent pas.
Ils étaient trois.
D’abord, il y avait Xander. Tout juste la trentaine, le cousin de Lexie et Jonas était avachi dans le canapé. Comme tous les jours, il avait passé tout son temps dans l’entrepôt, deux rues plus loin, où il créait ses petits chefs d’œuvre, ses « bébés » comme il disait, au son de la pierre, du burin et du marteau. Toute une armée de jolis petits golems prêts à recevoir leur âme. Xander jetait des biscuits apéritifs à une petite gargouille au corps de lézard perchée sur l’accoudoir. L’année précédente, Gauthier y avait glissé une ombre, pour tester. Une petite ombre curieuse et un peu vicieuse, mais qui s’était prise d’affection pour Xander, peut-être parce qu’ils étaient un peu semblables.
Ensuite, il y avait Monica, la fille aînée de Glen. D’un an de moins que Xander, elle était aussi jolie que Lexie et aussi acharnée lorsqu’il s’agissait de traquer une proie pour en siphonner la magie. Ceci expliquait sans doute pourquoi les deux filles ne s’étaient jamais réellement entendues. A moins que ça ne soit à cause de Jonas, Monica rêvant de planter sa dague dans sa gorge de traître, et Lexie persistant à croire qu’il finirait par la rejoindre.
Enfin, installé dans un fauteuil, les jambes croisées, Mason ne leva pas le nez de son livre, mais ses yeux observèrent Gauthier derrière ses lunettes carrées à monture noire. Le frère cadet de Monica passait sa vie dans des bouquins. Dans une autre vie, il aurait été libraire ou professeur d’université, son physique avantageux lui aurait assuré une clientèle féminine régulière ou bon nombre d’étudiantes à mettre dans son lit. Sa vie actuelle lui apportait tout autant de livres à dévorer, mais beaucoup moins d’opportunités pour coucher. Il était cependant du genre à se satisfaire de peu de côté-là tant qu’il pouvait étudier grimoires et parchemins et emmagasiner un savoir magique considérable.

— Des nouvelles de Lexie ? fit Gauthier en se dirigeant vers la chambre.
— Aucune pour l’instant. On la trouvera.

Gauthier ne répondit que par un grognement agacé. Il détestait qu’il y ait un accroc dans son plan.

Olivier se leva dès que son créateur entra dans la chambre. L’Oaf était très pâle et de vilains cernes creusaient ses traits. Cela faisait presque 24 heures qu’il était enfermé ici et il avait eu le temps de ruminer toute sa rage et sa rancœur contre Lexie, Bo et Capucine. Ces trois putes le paieraient. Il se ferait un plaisir de massacrer la première, de vider la seconde de ses ombres et de défigurer la troisième. Mais pour le moment, il fallait qu’il fasse face à Gauthier dont la fureur brûlait dans ses yeux. A nouveau, il sentit cette peur ramper en lui, s’enroulant autour de ses tripes. Gauthier lui avait donné la vie et pouvait la lui ôter d’un simple geste, annulant le sortilège qui le maintenait dans cette enveloppe, le renvoyant vers le néant. Il fallait qu’il trouve les bons arguments pour qu’il ne le fasse pas. Il regarda Gauthier se rendre à la fenêtre, droit dans son costume gris.

— Depuis quand le savais-tu ?

Olivier se raidit. Gauthier n’avait pas haussé le ton, mais celui-ci était glacial, chargé de menaces mortelles.

— Depuis le jour du restaurant, avoua-t-il.

Gauthier fit un rapide calcul. Douze jours. Presque deux semaines qu’il se foutait de lui.
Olivier n’était pas le premier. L’ombre qu’il avait mise dans Eric par accident en avait fait autant.
Il repensa à cet Oaf involontaire. Jamais il n’avait pensé que l’ombre quitterait ce petit branleur d’Alexis pour parasiter Eric. Même après tout ce temps, il ne comprenait toujours pas comment elle n’avait pas tué le Substitut. Elle était censée le rendre fou, le pousser à tuer Eric, et ne pas laisser de témoin. Si l’ombre était revenue dans le corps d’Alexis, comme prévu, il l’aurait éliminée et toute trace de son implication aurait disparu. Mais quelque chose avait merdé et il ne s’en était aperçu que bien plus tard, quand l’Oaf l’avait appelé pour lui révéler son existence et celle du journal dont Quentin était le destinataire. Il s’était seulement bien gardé de parler de la nature de Bo Hendricks. Du changelin. Sans doute pour les mêmes raisons qu’Olivier : dévorer ses ombres, gagner en pouvoir.
Quelles probabilités y avait-il qu’un second changelin entre en contact avec Quentin ? Pourquoi n’avait-il pas pensé qu’Eric ait pu en trouver un ? Et pourquoi ces putains d’Oaf lui compliquaient-ils la vie ? Ils étaient censés lui obéir ! Lui être loyaux !

— Tout ce travail perdu ! Tout ça pour quoi ? Quelques ombres ? explosa-t-il soudain.
— Je ne…
— La ferme ! Tu mériterais que je te les arrache une par une et te réexpédie d’où tu viens.

Gauthier leva la main et la panique se lut dans les yeux écarquillés d’Olivier. Le sorcier fit un geste qui le plaqua au sol. L’air manqua soudain à l’Oaf, son visage devint rouge. Il avait une pression énorme sur la poitrine et le corps tout entier. Ses os craquèrent dans un bruit sinistre qui tira une grimace à Glen Velikan qui assistait à toute la scène, appuyé contre la porte.
Gauthier s’accroupit devant la tête d’Olivier et fit naître une flamme au creux de sa main. Il la fit danser devant les yeux de l’Oaf terrorisé.

— N’oublie jamais que JE suis ton créateur et que TU n’es qu’un outil. C’est compris ?

Il leva la pression sur Olivier juste pour qu’il puisse hocher la tête.

— Très bien. Maintenant, parle-moi de Bo Hendricks.

Il claqua des doigts et Olivier fut totalement libéré. L’Oaf toussa et cracha, basculant sur le côté. Les dégâts sur son corps se réparaient déjà, mais cela n’empêchait pas la douleur.
Olivier se redressa en prenant appui sur le lit et raconta ce qu’il savait sur Bo, ce qui tint en peu de choses si ce n’était l’expérience qu’il avait eue avec elle au Boudoir de Circée.
Gauthier réfléchit longuement à ce qu’Olivier venait de lui décrire, à cette magie qui avait détruit une bonne partie de ses ombres. Etait-ce comme cela que l’autre Oaf était mort ? Cette magie était-elle particulière à Bo Hendricks ou est-ce que Quentin la possédait aussi ? Les rares changelins que les Velikan lui avaient trouvé ces deux dernières années n’avaient pas démontré ce genre de pouvoir, mais ils n’avaient jamais eu non plus à faire aux Oafs. Il n’avait rien lu dans le grimoire à ce sujet.

— Et ta main ?
— ça, c’est Capucine, répondit Olivier avec hargne. Elle sait pour le feu.

Gauthier se pinça le haut du nez et poussa un long soupir. Capucine travaillait désormais avec Quentin bien qu’il ne s’explique pas pourquoi, ni comment c’était possible.
Il savait par Gwen que Quentin connaissait désormais sa nature. Elle ne s’était pas étendue sur le comment, mais Gauthier suspectait que le journal d’Eric en soit la cause. Le journal qu’Olivier était censé lui avoir ramené. Là aussi, il s’était planté car ce qu’il avait récupéré n’était qu’un stupide carnet sans importance. Et dire qu’il avait passé des jours dessus en croyant qu’Eric avait dissimulé son journal sous une illusion des plus perfectionnées !
Quentin avait parlé de sa nature à Capucine, c’était évident, sinon pourquoi l’emmener en Norvège ? Mais qui d’autre était au courant ? Qui cherchait le grimoire ? Peut-être devrait-il se servir à nouveau d’Alexis pour savoir, mais c’était risqué. Trop. Il devrait tuer Alexis, ce serait plus prudent. Lexie avait échoué avec le golem, mais maintenant il comprenait que Bo Hendricks devait être derrière tout ça.

— Quentin pense que les Velikan ont le grimoire et que Joanna est avec eux, ajouta Olivier. Et il a trouvé un sortilège pour protéger son entourage. Quand j’ai essayé d’attaquer Capucine avec mes ombres ou ma magie, elle était intouchable.

Olivier montra sa main blessée. Il détestait devoir demander ça à Gauthier, mais il n’avait pas le choix.

— J’ai besoin d’ombres, Gauthier. Cette salope m’en a trop pris. Soignez ma main.
— Et pourquoi je ferais ça ? Pourquoi je me montrerai généreux avec toi alors que tu t’es clairement foutu de ma gueule ? Que tu as failli foutre en l’air 25 ans d’efforts ! Pourquoi ?
— C’est vrai, j’ai déconné. Gauthier… Je peux pas rester comme ça !
— Oh que si, tu vas rester comme ça. Retrouve Lexie et ramène moi sa tête ! Et là, je te réparerais. Pas avant.

Il se tourna vers Glen.

— Et vous aussi. Démerdez-vous, mais retrouvez-la ! Morte ou vive ! Si Quentin la retrouve avant nous, il la fera parler !

Gauthier les planta là et quitta l’appartement. Il fallait qu’il reprenne la main. Quentin ne devait pas savoir la vérité. Il n’avait pas envie de tuer un changelin aussi précieux, ni abandonner tout ce qu’il avait construit ces 25 dernières années.

Olivier de Lyonesse
Olivier de Lyonesse

Messages : 121
Date d'inscription : 08/07/2020

Revenir en haut Aller en bas

Chapitre 24 - Dans l'ombre Empty Re: Chapitre 24 - Dans l'ombre

Message par Olivier de Lyonesse Jeu 16 Juil - 23:21

***

Mason avait fini par quitter l’appartement pour s’installer dans le café où il avait pris ses habitudes ces derniers mois. Il y avait bien trop d’agitation là-bas pour qu’il puisse lire tranquillement.
Son père était remonté comme une pendule contre Lexie et tergiversait à faire venir d’autres membres de la famille de l’Illinois pour la retrouver.
Sa sœur répétait en boucle que cela faisait des années qu’elle avait prédit que leur cousine les foutrait dans la merde. Venant d’elle, cela l’avait fait doucement sourire et il avait failli s’en prendre une.
Quant à Xander, il était défoncé et délirait. Comme d’habitude, il allait bouffer sa réserve de magie à vitesse grand V, prétextant toujours que c’était pour l’Inspiration, son Œuvre et son Art !
Mason, lui, était du genre économe. Partir à la chasse pour remplir l’opale de son bracelet l’ennuyait. Pas qu’il ait des scrupules – personne dans la famille n’en avait -, mais c’était toujours des complications et, surtout, du temps qu’il passait en moins dans ses livres.
Quelques années plus tôt, il avait trouvé la bonne combine pour le minimum d’efforts : se mettre en couple avec une sorcière. Nora cumulait trois points essentiels à ses yeux : elle travaillait à la bibliothèque de l’université, elle était assez naïve pour ne pas s’apercevoir qu’il lui piquait sa magie et elle était facile à contenter sur tous les points. Bonus non négligeables : elle était assez jolie, ne fumait pas et faisait la bouffe sans rechigner. Si Monica ne lui avait pas sauté dessus pour la siphonner alors qu’elle était en manque, il aurait certainement pu l’épouser. La vie était parfois mal faite.

Mason releva les yeux de son livre pour touiller le grand café qu’il avait commandé. Il n’y avait pas grand-monde dans l’établissement à cette heure avancée de la nuit : deux types au comptoir, un couple de quadras qui se regardaient dans le blanc des yeux et une femme occupée à remplir un carnet de notes. Il replongea dans son bouquin, bien conscient qu’elle regardait souvent dans sa direction, hésitant encore à venir l’aborder dans l’espoir d’un peu de sexe rapide dans les toilettes ou l’hôtel du coin. Il réfléchissait encore à lui faire un geste pour l’encourager. Il était à peine à la moitié de son bouquin. Est-ce que l’hygiène devait prévaloir sur la biographie de Catherine II de Russie ? La question était difficile. D’un autre côté, la dernière fois remontait à deux semaines, ce qui n’était pas si loin, rien ne pressait. Catherine et ses manigances piquaient bien plus son intérêt que la perspective de sauter une inconnue. Si encore elle avait été une sorcière, il aurait pensé utile, mais là…
Son œil fut soudain attiré par un mouvement derrière la vitre du café. Une pie était perchée sur la voiture garée juste devant. De l’index de sa main gauche, il traça discrètement un cercle sur la table qu’il barra d’un geste de son majeur.

Les pies dorment la nuit, tu sais ? pensa-t-il tout en retournant à son livre.
J’avais pas de hibou à disposition, entendit-il lui répondre.
Où tu es, Lexie ?

Il la sentit avant qu’elle ne pousse la porte du café. Ce fut comme un tremblement sous sa peau, une vague qui courut de ses orteils jusqu’au moindre de ses cheveux châtains. Il sentit tous les poils de son corps se dresser et, surtout, sa faim se réveilla.
Mason ne s’aperçut pas tout de suite que sa cousine avait pris une autre apparence. Il ne voyait que cette aura puissante de magie qu’elle dégageait. Lexie s’était vraiment gavée de la magie du changelin. La petite garce !
Elle vint s’asseoir devant lui, un sourire satisfait sur les lèvres. Mason était rarement en manque. Il était comme Jonas, se satisfaisant de petites doses régulières ; en vérité, des miettes pour tromper la faim car elles ne suffisaient jamais à long terme. Cependant, même son petit rat de bibliothèque de cousin préféré avait parfois le corps qui tremblait, les gestes peu sûrs, le regard avide et la faim dévorante des junkies que tous les Velikan étaient dans le fond. Il n’aimait pas le montrer, c’était tout, mais il n’était jamais contre se goinfrer comme eux tous. Preuve en était Vanessa Binger. Certes, cette fille était morte parce que cette psychopathe de Monica s’en était mêlée, mais il n’avait pas été le dernier à prendre sa part de magie alors qu’elle se vidait de son sang dans sa baignoire. Lexie avait vu Mason prendre son pied, assis sur le carrelage de cette salle de bain. Elle lui avait même susurré que cela avait l’air d’être bien meilleur que lorsqu’il avait baisée cette sorcière à peine une demi-heure avant.

Lexie lui prit son livre des mains et le posa à l’envers sur la table. Elle savait que Mason détestait ça. Il allait râler que cela abimait les pages et la reliure. Quoi que vu comment son regard brillait, il pensait certainement plus à la magie qu’il voyait chez elle qu’à son putain de bouquin.
Elle poussa le vice à poser sa main sur la sienne. Il referma son poing, se raidissant. Mason la maudit de jouer ainsi avec lui. Entre sa sœur et sa cousine, il n’était pas à la fête tous les jours.

— Je vois que tu es en pleine forme, fit-il entre ses dents.

Mason ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, il avait réussi à éteindre sa capacité à voir les auras magiques. C’était déjà plus supportable de regarder Lexie, mais tout son corps ressentait toujours la puissance magique qu’elle dégageait.
La magie des changelins étaient la meilleure que le jeune homme ait pris de sa vie. Aucun artefact ancien, ni aucun sorcier, aussi puissant soit-il, n’avait cette saveur. Comme tous les Velikan, depuis qu’il y avait goûté, Mason rêvait de la sentir encore parcourir son être, en remplir chaque fibre, chaque cellule pendant des semaines. Seulement, il fallait toujours partager : avec les autres, avec Gauthier. Surtout avec Gauthier. A chaque changelin attrapé et vidé, il se gardait la moitié pour son profit personnel et ses petites expériences, engrangeant de plus en plus de magie pour réaliser son grand rêve : devenir un véritable sorcier et ne plus dépendre des objets de pouvoir.

— Olivier dit qu’il t’a tiré dessus.
— Oh, ça ? fit-elle en posant sa main libre sur son épaule. C’est déjà du passé. Il aurait dû viser la tête.

C’est ce qu’elle aurait fait en tous cas. Elle avait vu son regard quand il l’avait menacée de son arme : il s’était bien amusé ce petit enfoiré. Il ne perdait rien pour attendre s’ils se recroisaient.

— ça viendra sûrement, répondit Mason. Tu n’aurais pas dû faire ça.
— Je n’aurai pas dû le faire ou je n’aurai pas dû le faire toute seule ?
— On ne chasse pas un changelin seul, tu le sais très bien.
— ça me réussissait assez bien jusqu’à ce que ce connard me tire dessus.
— On aurait pu partager.

Elle haussa les épaules en réponse. Elle aurait pu, oui, surtout que Mason détestait la mainmise de Gauthier sur leur famille et qu’il aurait été ravi de lui damer le pion sur ce coup. Seulement, ce n’était pas avec lui que Lexie voulait partager la magie de Bo Hendricks. Pourquoi Jonas s’obstinait-il à ne rien comprendre ? A l’affronter ? A prendre la défense de cette fille qui n’était rien pour lui ? Pourquoi persistait-il à l’abandonner ?

— Tu voulais le faire sortir de son trou, fit remarquer Mason en voyant qu’elle touchait le bracelet de son frère qu’elle portait au poignet. Il ne reviendra jamais, Lexie, mets-toi ça dans le crâne. Il nous hait. Oublie-le une bonne fois pour toutes.

Elle eut l’air moins sûre d’elle un instant, mais se reprit.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles. Il finira par comprendre.

Il lui faudrait sans doute employer les grands moyens pour ça, mais Jonas reviendrait vers elle, Lexie en était persuadée. Avec Kelya, ils reformeraient bientôt une famille.
Mason secoua la tête devant son obstination. Lexie ne voulait pas voir la vérité en face et cela la menait à faire des conneries dont ils pouvaient tous pâtir. Parce qu’il ne fallait pas se faire d’illusions : s’ils ne la ramenaient pas à Gauthier, ils le regretteraient.
Il retira sa main de dessous la sienne, son contact devenant insupportable. Sa gorge était extrêmement sèche et sa jambe droite tressautait d’impatience, de faim et d’envie de meurtre.

— Je t’admire, tu sais, fit-elle en jouant avec la petite cuillère sur la table. A ta place, Xander serait à genoux en train de me supplier et Monica aurait déjà essayé de m’égorger depuis longtemps.
— Tu sais pourquoi je suis venu ici ? Pour avoir la paix. Pour lire tranquillement en prenant un café. Je suis déjà suffisamment emmerdé par Monica à l’appartement sans que tu viennes en rajouter une couche. Alors, dégage maintenant.

Mason en avait marre. Quand ce n’était pas Lexie qui se tirait pour faire cavalier seul et venait le tenter avec la magie volée au changelin, c’était Monica qui découpait ses grimoires les plus précieux s’il refusait qu’elle tue la sorcière sur laquelle il avait des vues, ou sa tante Cassie qui lui pétait les couilles au moindre prétexte. Toutes les nanas de la famille étaient des psychopathes en puissance et se liguaient pour venir l’emmerder alors qu’il voulait simplement passer son temps dans ses livres ! Toutes sans exception. Son père lui avait expliqué très tôt que ce n’était pas la faute de sa sœur, de ses cousines ou de ses tantes. La magie s’effaçait plus vite du corps des femmes que des hommes dans leur famille. Le manque était plus fort, plus douloureux et plus difficile à supporter. En conséquence, le plaisir qu’elles expérimentaient quand elles prenaient leur dose était bien supérieur à celui que ressentait un homme et elles en devenaient très rapidement accro. Ce qui faisait aussi qu’à la chasse, elles étaient les plus acharnées, les plus voraces et les plus incontrôlables, et qu’au quotidien, ce n’était pas mieux.

— C’était un compliment. Tu sais que je t’aime bien, Mason, soupira Lexie.
— Si c’était le cas, tu ne m’aurais pas interrompu dans ma lecture et tu n’aurais pas abimé mon bouquin, répliqua-t-il en reprenant son livre.

Il râla en l’examinant, comme si avoir passé dix minutes ouvert à plat avait pu avoir des dégâts irréparables.

— Est-ce que tu les as appelés quand je suis arrivée ? demanda-t-elle en le regardant dans les yeux.

Mason soutint son regard sans ciller.

— Ils veulent tous ta peau, tu sais, ça ? Hendricks a failli tuer Olivier, il est dans un sale état et l’autre a pété un câble. Il lui a demandé de lui ramener ta tête et il le fera.
— Je serai déçue qu’il ne le tente pas, répliqua-t-elle.

Elle nierait avoir pensé à partager Bo Hendricks avec Olivier. Elle sa magie, lui ses ombres. A deux, ils n’auraient eu aucune difficulté à l’avoir. Mais il suffisait déjà qu’ils aient couché ensemble, elle ne voulait pas s’impliquer davantage avec l’Oaf et il n’aurait pas hésité à tuer Jonas là-bas. Il avait donc mieux valu lui planter un couteau dans le dos avant qu’il ne le fasse. Qu’il cherche désormais à la tuer était de bonne guerre, mais il n’y parviendrait pas.

— Mon père va te traquer et Monica sera ravie de l’y aider.
— Je l’attends, elle aussi, répondit-elle d’une voix assurée.
— Tu me fais vraiment chier. C’est de ma sœur dont tu parles.
— Tu n’as toujours pas répondu à ma question.
— Tu crois que si je l’avais fait, ils ne seraient pas déjà là pour te cueillir ? L’appart n’est qu’à 10 minutes d’ici.

Lexie lui adressa un sourire plein d’affection. Elle n’avait pas menti : elle aimait bien Mason. A leur arrivée, huit ans auparavant, il les avait accueillis bien volontiers, elle et Jonas, dans leur famille alors que le reste du clan se méfiait un peu. Il fallait dire que, vingt ans plus tôt, leur père biologique, Peter, s’était barré avec quelques objets magiques à la suite de divergences sur leurs méthodes de collecte de magie. Jonas l’avait malheureusement imité quelques mois plus tard. « Tel père, tel fils » avait craché Glen alors, et Lexie avait dû prouver qu’elle n’était pas comme eux. Mason avait été le seul de son côté.
Elle fit un geste de la main comme si elle verrouillait quelque chose. La lumière baissa d’intensité et en dehors de leur table, le reste était dans le noir. Les bruits ne leur parvenaient plus. Ils étaient comme isolés dans une bulle.
Elle passa son pouce dans la paume de sa main pour s’entailler. De l’index, elle attrapa une volute de ce fluide magique doré qu’elle avait volé à Bo Hendricks. Mason la regardait faire, la gorge serrée et la bouche incroyablement sèche. Sans s’en rendre compte, ses mains s’étaient accrochées à la table.
Lexie tendit son doigt à son cousin pour diriger le fluide dans sa bouche. A peine était-il entré dans sa gorge qu’il bascula la tête en arrière, ses mains se serrant un peu plus à la table.

— Putain…

Il haletait sous le plaisir que lui procurait la magie pure du changelin, sous sa puissance. Lexie lui en redonna encore un peu, puis referma sa plaie avant d’essuyer sa main sur la banquette en tissu. Elle refit un geste et ils sortirent de leur bulle.

— On pourrait donner Gauthier et Olivier aux de Lyonesse, les mettre sur leur piste. On se débarrasserait d’eux et ensuite, libres à nous de récolter les changelins. Ils sont trois, Mason. On n’en a jamais eu autant d’un coup à portée de main, et deux sont très puissants.

Son cousin reprenait pied doucement. Il sentait la magie courir dans ses veines. Elle ne lui en avait donné qu’une infime dose et, pourtant, il se sentait plus fort et capable de beaucoup de choses.

— C’est une idée tentante, murmura-t-il en relevant les yeux pour la regarder.
— Il partagera peut-être Bo avec vous, mais pas les deux autres, et surtout pas Quentin. Il se le garde au chaud depuis trop longtemps et…

Elle s’interrompit soudain et soupira, plus blasée que blessée.

— Je ne devrais même pas être surprise… J’y crois pourtant, à chaque fois, tu sais. J’espère. Mais vous êtes tous pareil au final.
— De quoi tu parles ?

Elle se leva sans le quitter des yeux et Mason sentit la magie de Lexie prendre de l’ampleur si bien qu’il vit à nouveau son aura. Elle l’éblouit tellement qu’il dut plisser les yeux.

— Je t’aime beaucoup, Mason, mais tu n’aurais pu du faire la même erreur que Jo. Tu n’es pas mon frère. A lui, je peux pardonner. A toi…

Mason comprit alors que ce qu’il avait vu quand elle était arrivée n’était que le sommet de l’iceberg. Lexie avait aspiré bien plus de la magie du changelin qu’elle le lui avait laissé voir, peut-être même avait-elle siphonné quelques objets de pouvoir en plus. Sa puissance était écrasante, étouffante, et sa magie saturait l’air ambiant. Elle n’avait jamais été aussi puissante et lui, il venait de la mettre en colère. S’il tremblait maintenant, ce n’était pas de faim.
Lexie lui adressa un sourire cruel en constatant la peur qu’elle inspirait à son traître de cousin. Elle plongea la main dans la poche de sa veste pour sortir une cigarette qu’elle coinça entre ses lèvres. Les vitres du bar explosèrent au moment même où elle l’allumait sans briquet, projetant des millions d’éclats à travers la salle. Les hurlements retentirent, faisant écho aux alarmes des voitures du quartier et aux cris dans les immeubles. Il ne devait plus y avoir une seule fenêtre, un seul pare-brise, un seul miroir d’entier à au moins deux cents mètres à la ronde.
Sans un regard en arrière pour Mason, Lexie sortit du bar par la vitrine. Aucun éclat de verre ne l’avait touché, elle n’en avait même pas sur ses vêtements. Elle souffla la fumée de sa cigarette et remonta tranquillement le trottoir. Sa famille l’avait trahie et abandonnée, ils ne perdaient rien pour attendre. Grâce à ce chaos, ils étaient désormais dans la lumière. Quentin et Ahmed allaient passer le quartier au peigne fin. Quant à elle, rester dans l’ombre pour atteindre son objectif lui convenait bien mieux.
Olivier de Lyonesse
Olivier de Lyonesse

Messages : 121
Date d'inscription : 08/07/2020

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum