FB01 - Devenir loup-Garou

Razzler n'eut guère de difficulté à le contrer et l'envoya même contre le mur dans un éclat de rire rugissant. La maison tangua légèrement dans un frêle avertissement.

Jonas repartit à l'assaut, pour le même résultat. Il grogna de mécontentement et de frustration en se remettant sur ses pieds. Ses émotions étaient bien plus exacerbées sous cette forme, mais il ne s'en rendait pas vraiment compte.

Après quelques échanges musclés, la maison céda. Elle le fit tout en douceur, penchant vers la gauche avec une délicatesse certaine tout comme le bruit qu'elle fit lorsqu'elle sombra dans les eaux profondes de l'ocean.
Ce fut tellement lent qu'ils ne réalisèrent pas immédiatement que le basculement qui avait opéré n'était pas dans leur combat mais bel et bien celui de leur petite demeure.
L'eau s'engouffra par la fenêtre avec un balai aérien et argenté de petits poisons curieux.

Jonas recracha l'eau et le poisson qui s'étaient engouffré dans sa gueule grande ouverte pour être à nouveau submergé. Entraîné par le basculement de la maison, il roula encore, perdant pied, et fut balloté de droite et de gauche jusqu'à percuter le mur à côté de la fenêtre. Comme l'avait si bien relevé Razzler un peu plus tôt, le cadet n'avait pas appris à nager et, dans la panique, passa de sa forme lupine à sa forme humaine.

Si Razzler était sorti par la fenêtre en nageant assez rapidement, il revint attraper son frère par le bras pour qu'ils le suivent.
En quelques brasses, ils remontèrent à la surface où il ne restait plus qu'un lopin de terre et un morceau du salon et des escaliers. Leur mère était sur le seuil de la porte avec un petit panier bien remplis, son manteau et son chapeau. Elle regardait incrédule, leur maison qui sombrait lentement et dont il ne restait plus qu'un pan de mur pointant vers le ciel.

Jonas cracha l'eau et encore un petit poisson avant de réaliser ce qui venait de se passer. Il regarda le spectacle, sous le choc. Son expression valait celle de sa mère.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? murmura-t-il en plaquant ses cheveux en arrière pour dégager ses yeux.

Il tourna la tête vers son frère.

— C'est... nous ?

A cette idée, il sentit un frisson le parcourir en imaginant ce qu'allait dire leur père.

Razzler grimpa sur le sol aux pieds de sa mère.

— Nan. Bien sûr que non, dit il avec aplomb. Heureusement mère que vous étiez sortie quand cette vieille bicoque a finit par rendre l'âme. L'eau est terriblement froide à cette heure.

Il allait falloir maintenir cette version face à leur Herr Weiter de père.

Jonas le suivit, tout aussi dégoulinant.

— Vous allez bien ? demanda-t-il à sa mère, inquiet.

Razzler savait que son frère n'aimait pas mentir. Ce n'était pas permis par le règlement. Pour autant, peut-être que cette fois, il se plierait à la version de Razzler. Après tout, la maison était ancienne et ce n'était peut-être pas tout à fait de leur faute si elle s'était effondrée pile au moment où ils chahutaient.

Siglae regarda ses fils l'un après l'autre. Elle s'attarda sur le dernier.

— Si je vais bien ? Si alors que mes broderies et mes toilettes tombent entre les mains de la poiscaille chantante, je vais bien ? Demanda-t-elle avec une voix qui montait dangereusement dans les aigus.

Leur mère n'avait jamais trop aimé le voisinage des sirènes à proximité de leur maison, surtout qu'elles avaient tendance à interpeller leur père dans des tenues les plus légères.

Jonas baissa légèrement la tête et les épaules, préférant dévier le regard vers l'eau engloutissant la maison et toutes leurs possessions.

— Hé bien...

Mais il ravala aussitôt ce qu'il allait dire ou plutôt, bafouiller. Car forcément, cela trahirait sa part de responsabilité dans cette affaire et la colère de sa mère vaudrait toutes celles de Jozzler.

Razzler posa les mains sur les épaules de Siglae et lui adressa un sourire chaleureux.

- Ne vous inquiétez pas, mère, je me fais un devoir de retirer vos précieuses affaires des mains de ces créatures impies.

Il plongea aussitôt au fond de l’océan.

Jonas admirait la faculté de son aîné à se sortir de ce genre de situation avec un sourire et une pirouette. Il en aurait été bien incapable.
Ses doigts touchèrent la petite fiole dans le fond de la poche de son pantalon, toujours intacte par miracle. S'il avait su nager, il aurait pu suivre Razzler, mais tout ce qu'il réussirait à faire, c'était couler comme une enclume.

— Venez vous asseoir, proposa-t-il à sa mère en attrapant l'unique fauteuil rescapé de la catastrophe.

Tout le reste du mobilier du salon avait fini dans l'eau et semblait perdu pour de bon.

— Mais où allons-nous aller ? Je ne vois que chez Hortense, dit elle contrariée.

La grande tante de Siglae était une fae très collé-monté qui ne vivait que pour la cour des Fae. Elle connaissait tout sur la Famille et se faisait un devoir d'être invitée à chaque grande reception.

— Père trouvera une solution, lui assura-t-il en lui prenant son panier des mains.

Il le déposa à ses pieds en soupirant. Ils avaient tout perdu. Il songea un instant à sa collection de sphères lumineuses. Sans doute se trouverait-il une sirène pour les apprécier.

Herr Weiter accueillit la nouvelle par un regard glacial, quelques questions brèves et concises auxquelles Razzler fournit des réponses pleines d'assurance et les dédouanant totalement.
Jozzler Wolferstan étant un homme d'action, il commença par conduire toute sa famille auprès de la tante Hortense vivant à quelques minutes mais sur la terre ferme. Elle possédait un petit manoir aussi glacial que sa figure et elle ne cacha pas sa désapprobation pour autant, elle fournit une chambre au couple et une pour les deux garçons.
Elle n'était pas très grande avec un plaid rose et une décoration glorifiant le Prince Phillipus-Menilus et sa famille sur chaque mur et étagère s'y prêtant.
Razzler se débarassa de ses bottes et une bonne partie de ses vêtements mouillés pour se laisser tomber sur le lit avec un bâillement.

— On s'en souviendra de ta malédiction à toi...

Jonas s'assit lourdement sur le bord du lit après avoir enlevé son pantalon, seul vêtement qu'il lui restait. Ces dernières heures, il était resté silencieux, surtout devant son père, craignant que Jozzler ne comprenne que ses fils lui cachaient la vérité. Si la crainte de la punition était réelle, le simple fait de mentir à ses parents et de transgresser cette règle mettait l'adolescent mal à l'aise.

— C'est sûr... soupira-t-il en se tournant vers Razzler.

— Limite, je serai un peu jaloux.

Il regarda son jeune frère.

— Tu souhaites toujours intégrer la surveillance des quartiers ?

Il ne serait guère étonné que leur père les place en caserne, il avait déjà évoqué cette possibilité et cela pourrait leur permettre de trouver un logement plus petit.

Il avait esquissé un sourire à sa première remarque.

— Oui, bien entendu.

Il s'allongea à côté de son frère, un bras sous la tête.

— Il faut bien commencer par là.

Jonas n'avait d'ambition que celle de son père. Il avait été formaté, éduqué pour suivre ses traces, grimper les échelons militaires et sociaux. Avec du travail et une vie irréprochable, il pourrait atteindre les hautes sphères de la ville haute et faire rayonner sa famille pour qu'on oublie qu'ils étaient des Maudits.
Pour autant, l'adolescent voyait dans cette carrière militaire qui se profilait autre chose que du prestige. En surveillant les quartiers, il se mettrait au service de la Cité et de ses habitants, il pourrait veiller à ce que la paix règne, protéger des gens des canailles des bas quartiers. Et plus il grimperait dans la hiérarchie, plus il en aurait les moyens.

— Ouais... Ou alors t'épouses une des copines de Tante Hortense, dit il en baillant une nouvelle fois.

Pour les maudits, une bonne union Fae restait une voie royale.

— Je te les laisse, va, bailla-t-il à son tour.

Jonas était encore trop jeune pour penser à cela, mais il savait bien que cela viendrait un jour sur le tapis. Et comme toujours, il se plierait à ce que son père déciderait.

— Moi je veux bien en épouser plusieurs et fricoter avec les sirènes la nuit, approuva Razzler.

Il tira un morceau de plaid sur ses jambes et tourna la molette pour glacer les lucioles qui virevoltait dans le verre de la lampe. Elles se figèrent et peu à peu la lumière déclina.

— Tu crois vraiment que tu en auras la force ? s'amusa-t-il dans un murmure.

Jonas sentait le sommeil le gagner.

— Il y a tant de naïveté en toi, petit frère...

Razzler ne tarda pas à s'endormir, prenant toute la place dans le lit et ronflant avec des grognements et des jappements par intermittence.

Jonas le poussa un peu et finit par s'endormir à son tour, épuisé.