FB01 - Devenir loup-Garou

Razzler Wolferstan était installé sur une marche de l'escalier tortueux qui desservait leur étrange maison. D'après leur mère, il fut un temps où elle était moins étriquée mais quand le quartier avait commencé à prendre l'eau, les différentes demeures avaient retenu leur souffle. Leur maison s'était étirée en hauteur et avait affiné sa silhouette comme si elle craignait de se mouiller les pieds. Depuis, elle était entourée d'eau et leur Herr Weiter de père espérait bien qu'avec sa promotion en vue  faisant de lui un Herr Nästa, un déménagement dans un quartier moins humide serait envisageable.


Razzler avait lui-même commencé son service dans la surveillance des quartiers. Comme il n'avait pas de fonction officiel, il n'était qu'un "Suivant" mais s'il faisait ses preuves, il pourrait passer de titre en titre en devenant un Mister Next puis un Senor Siguiente voir un Bay Sonraki. Il lui faudrait en revanche bien plus de prestige pour espérer un jour parader avec autant de médailles que Jozzler Wolferstan. Si leur père était un militaire reconnu, ce soir il allait mettre en lueur une autre facette qui faisait de lui un Herr Weiter au flair redoutable.
La porte d'entrée s'ouvrit et Razzler reconnut l'immense silhouette de son patriarche. Ses bottes de cuir noir rehaussées d'un galon rouge et vert firent ploc-ploc sur le parquet laissant des traces d'eau sur leur passage. Il les ôta et les aligna avec soin sur le meuble prévu à cet usage.

— Où est Jonas ? Demanda-t-il de sa voix grave.

Il avait toujours l'air furieux quand il parlait mais c'était quand il se mettait vraiment en colère qu'on comprenait combien on était loin de la vérité. Jozzler ôtait chaque accessoire de sa tenue militaire avec précaution et chacun trouvait une place bien définie. Razzler l'avait vu suivre ce protocole un nombre infini de fois sans jamais se lasser. Le sens de l'ordre de son père le fascinait et il savait que son désir profond de chao venait probablement d'un certain sens de la contradiction en lui.

— Dans sa chambre. Mère lui a fait porter son repas, il y a une heure.

Siglae était une Fae délicate et très à cheval sur l'étiquette. Razzler ironisait souvent en disant que Protocole et Etiquette s'étaient bien trouvés pour enfanter Ordre et Chaos. Leur mère, issue de la petite bourgeoisie, avait en son temps fait preuve de courage en épousant un maudit mais elle avait su le hisser dans les plus hautes strates de la société grâce aux ambitions et mérites de Jozzler.

— Pourquoi ?

— Parce qu'elle en avait assez qu'il s'agite sur sa chaise et fasse tomber sa petite cuillère par terre.

Jozzler maugréa quelque chose qui tenait plus d'un grognement animal que d'un propos compréhensible. Razzler se leva, bien conscient qu'au vu de l'étroitesse des lieux, son père ne pourrait pas grimper vers l'étage, s'il restait assis ici. Il aurait aimé être témoin de la malédiction qui allait s'abattre sur son jeune frère, curieux d'être témoin de ce qu'il avait lui-même vécu trois ans plus tôt. Cependant son père avait été clair sur le sujet et il n'avait d'autre choix que rejoindre sa chambre ou bien se faufiler sur le toit et envisager une escapade pour jouer aux cartes sur le raffiot de contrebande le plus proche. Il adorait faire les poches de gars peu recommandables et leur montrer les crocs si ces derniers voulaient récupérer leur mise à coup de lames rouillées.

— Il serait de bon ton que ton frère puisse te trouver demain à son réveil. Tu es un modèle pour lui.

Grande Lune Bleue ! Il ne serait jamais un modèle pour Ordre qui aspirait plus sûrement à assouvir les aspirations de leurs parents qu'il ne l'avait jamais voulu.

— Je ne prends mon service qu'à la troisième heure, il n'aura pas de mal à mettre sa patte sur moi, assura Razzler.

Il descendit et laissa le passage à son père d'un geste de la main puis le regarder grimper en faisant grincer et couiner chaque marche. Il l'entendit toquer à la dernière porte sous les toits, la mansarde de son frère autrefois une belle et grande salle de jeux.

— Allez petit frère, ce soir, tu te rapproches un peu plus de Herr Weiter, murmura Razzler avant d'attraper sa veste pour se fondre dans la nuit éternelle de Minuit.

HJ : j'adore ce début. Ordre et Chaos, c'est parfait

A peine son père avait-il frappé un coup à la porte de la mansarde que Jonas l'ouvrit, signe qu'il avait entendu son pas dans les escaliers. En vérité, il guettait le retour de Jozzler depuis des heures tout en sachant qu'il ne passerait la porte de leur maison qu'à cette heure précise, pas une minute avant, pas une minute après. Et si le Herr Weiter avait dû prendre du retard à cause d'une affaire urgente, il l'aurait fait savoir à leur mère. D'autant plus ce soir.
Jonas s'écarta aussitôt pour le laisser entrer s'il le souhaitait. La chambre était parfaitement rangée. Le lit était fait au carré, l'oreiller retapé impeccablement et aucun vêtement ne traînait. Sur le petit bureau, le plateau attendait de retourner à la cuisine, l'assiette vide et les couverts bien disposés sur le côté. Même s'il avait l'estomac un peu noué, Jonas avait pris son repas, à la fois par respect pour sa mère et parce qu'il ne fallait pas gâcher la nourriture.
Comme à son habitude, le regard de l'adolescent était tout aussi droit que le reste de son corps et c'est avec une raideur toute militaire qu'il salua son père d'un signe de tête.

— Bonsoir, Père.

Intérieurement, il n'était pourtant pas aussi calme que le laissait croire son attitude, mais il réussissait à ne pas se laisser aller à danser d'un pied sur l'autre. Cette nuit était une nuit particulière pour lui tout autant que pour sa famille. Il avait attendu ce moment toute sa vie, et son impatience s'était encore accrue depuis que Rassler avait rejoint leur père de ce côté-ci. Cette fois, c'était son tour et il comptait bien porter l'honneur de leur famille fièrement.

Jozzler entra dans la chambre comme en terrain conquis. Cette maison était la sienne bien qu'il n'apprécia guère sa proportion à réduire en large pour gagner en hauteur, peut être parce qu'il craignait que les escaliers ne finissent par céder sous ses pieds. Il sentait déjà glisser sur lui le déshonneur s'il restait coincé entre deux paliers.
Sans compter que Siglae tournerait de l’œil si dans la pagaie il se changeait en bête. Si elle l'avait accepté comme il était, elle n'appréciait guère les manifestations de sa nature de maudit. Sans compter son allergie aux poils qui la faisait éternuer et rougeoyer ses jolis yeux mauves.

— As-tu fait tes libations dans la salle d'eau ? Demanda-t-il en se tournant vers Jonas.

L'hygiène était important. Il détestait l'odeur de la sueur et l'adolescence semblait s'y complaire même si Jonas était plus précautionneux que Razzler sur ce point.

HJ :je suppose qu'il veut dire "ablutions" sinon Jonas a bu beaucoup de vin en attendant son père

Jonas s'était mis au repos, les jambes légèrement écartées et les mains jointes dans le dos, comme l'aurait fait n'importe quel homme sous le commandement de son père.

— Oui, Père.

Il observa ce dernier, se demandant comment les choses allaient se dérouler. A force d'insister, son frère avait fini par lâcher quelques bribes d'information, mais connaissant Razzler, il y avait certainement dedans des demi-vérités, des plaisanteries et beaucoup d'exagération pour impressionner son cadet.

HJ: Ah oui

Jozzler hocha la tête, ses narines frémissant légérement pour en chercher la confirmation olfactive. Il reconnut sans mal le savon que Siglae faisait à ses heures de vacuitance intellectuelle.

— Très bien alors ne trainons pas plus.

Jozzler déboutonna sa chemise afin de libérer un peu d'espace pour son épaisse fourrure à venir.

Jonas hocha légèrement la tête, tout son corps se tendant autant d'impatience que d'appréhension. Ce n'était pas parce qu'il descendait d'un clan de loups-garous forts et puissants que la Morsure était sans danger. Même la progéniture de deux loups-garous pouvait ne pas survivre à l'activation du gêne. C'était rare, mais cela arrivait.
Or, si la Morsure échouait, Jonas ne serait alors plus qu'une tâche honteuse pour sa famille et le clan Wolferstan. Dans ce cas-là, il valait mieux, en effet, être mort.

La bouche sèche, l'adolescent défit un à un les boutons de sa chemise, essayant de maîtriser le léger tremblement de ses doigts. Il finit par l'ôter pour la déposer sur le dossier de sa chaise pour qu'elle ne se froisse pas, puis ôta ses chaussures qu'il déposa à côté du bureau, parfaitement alignées.

— Je suis prêt.

Jozzler hocha la tête et dans ce simple mouvement avec élégance son corps muta en celui d'un loup. Il se tenait toujours droit, ses jambes et le bas de son corps s'étaient étoffé de muscle et de poils mais sa silhouette demeurait humaine. En revanche de son buste s'échappait une épaisse toison blanche et grise. Ses mains étaient des pattes même si les doigts semblaient plus agiles et mieux formés, ils s'achevaient cependant par des griffes tranchantes.
Il approcha de son fils qui l'avait déjà vu sous cette apparence mais brièvement et pas d'aussi près. En revanche, Razzler avait déjà paradé ainsi devant son cadet et parfois dans le plus simple apparat, ce qui lui avait permis de voir que le bas de son corps était bel et bien humain même si plus poilu.

Ce genre :

Le regard brun de Jonas fixait son père avec une admiration non feinte et une pointe de crainte. Cette apparence que les habitants de Minuit qualifiait de "maudite" semblait exacerber tout ce que Jozzler était lorsqu'il était humain : un être doté d'une force de caractère qui pouvait vous broyer s'il le décidait, né pour commander et dangereux pour ceux qu'ils considéraient comme des ennemis. Il se dégageait tellement de choses de lui que Jonas en eut le souffle coupé un court instant.
Ses yeux glissèrent sur les crocs luisants dans la gueule lupine et il sentit l'appréhension monter d'un cran à l'idée de les sentir dans sa chair. Il était évident que cette gueule acérée pouvait trancher un membre ou égorger quelqu'un sans effort. Pour autant, Jozzler avait rabaché à ses fils dès qu'ils avaient été en âge de comprendre que le contrôle et le respect des règles était la base d'une vie civilisée et que ceux qui se laissaient aller à leurs plus bas instincts appartenaient à la lie des quartiers inférieurs, ceux qui étaient dépourvus de tout honneur. Cela valait autant pour les émotions non canalisées que pour le fait de dévorer quelqu'un sans autre forme de procès.

Jozzler Wolferstan regarda son fils avec attention. Il savait que sa morsure laisserait une cicatrice définitive que rien ne pourrait effacer ou guérir. Son premier fils l'avait souhaité à la gorge pour l'exhiber. Il avait refusé, pas tant pour cette ultime provocation mais parce que la carotide était une zone dangereuse même pour un maudit avec de la bouteille. Razzler avait donc une belle trace sur la clavicule.

— As-tu décidé de son emplacement ? Demanda-t-il avec une voix bien plus rauque, légèrement gutturale mais toujours aussi distincte.

Jonas avait pesé toutes les options, les unes après les autres. Contrairement à Razzler, il n'avait jamais eu l'intention d'exhiber la preuve de sa malédiction, tout simplement parce que les Wolferstan travaillaient dur depuis plusieurs générations à la faire oublier et ainsi grimper dans les strates de Minuit. Il valait mieux un endroit qui ne soit dénudé que dans la sphère privée ou, en tous cas, rarement visible en société.

— Ici, répondit-il en désignant son flanc gauche.

Il avait hésité avec le bras, mais il y avait bien trop de tendons, et bien qu'il guérirait facilement grâce aux soins de sa mère, il ne souhaitait pas compromettre ses aptitudes martiales. Le flanc lui semblait donc plus acceptable malgré la proximité des organes. Il faisait confiance à son père pour mordre sans les endommager.

Jozzler observa le flanc de son fils et finalement s'agenouilla devant lui. Au vu de sa raideur, cette position devait lui coûter mais il ne s'y attarda pas et sa mâchoire se referma sur la peau tendre.
Il la pinça, ne mordant pas en profondeur mais les dents tranchèrent sans mal la chaire et le goût du sang lui chatouilla le nez.
Il fut sur ses pieds aussi vite qu'il s'était agenouillé et tendit un linge brodé à son fils.

— Je te conseille de rester alité pendant quelques heures. La fièvre commencera dans quelques minutes. Ta mère viendra te visiter dans huit heures. Durant ce laps de temps, je vais garder ta chambre fermée à clé.

Il regarda la pièce.

— Il se peut qu'elle soit à ranger ensuite.

Jonas avait serré les dents sous la douleur, embarrassé tout de même que son père ait du s'agenouiller devant lui. C'était un paramètre qu'il n'avait pas pris en compte et il eut honte de sa négligence.

— Ce n'est pas un problème, répondit-il en pressant le linge propre sur la plaie pour ne pas mettre du sang partout.

Il avait déjà rangé dans son unique placard le plus fragile, mais en réalité, en dehors de ses livres d'études, ses possessions se limitaient au nécessaire. Sa seule entorse était la poignée de petits objets diffusant une lumière douce et changeante, souvenirs du Festival d'Ecume ou de celui des Poissons-bulles, qui, d'ordinaire, était exposée sur la petite étagère fixée au mur, ou encore, la montre à gousset qu'il avait héritée de son grand-père maternel et qui indiquait le cycle des marées.

— Tout ira bien.

L'adolescent ne savait pas s'il disait cela pour lui ou pour son père, mais il ne s'attarda pas sur cette pensée, préférant se répéter que dans quelques heures, il serait pleinement un Wolferstan. Sentant que la fièvre approchait, il suivit les conseils de Jozzler et s'allongea sur son lit, au-dessus de la couverture faite main par Siglae.

Les heures qui suivirent furent confuses, un mélange de rêves sans queue ni tête, de souvenirs et de moment de réalité brutal. Son corps passait d'une intense chaleur à des périodes où il grelottait. Le plus douloureux était son Don en lui qui semblait lutter en s'enracinant plus profondément, lui donnant des quintes de toux quand il ne se pliait pas en deux pour vomir de la bile.
L'épuisement finit par le laisser tremblant sur le sol de sa chambre, le parquet lui semblant rassurant comme si la maison lui assurait qu'elle continuerait de le bercer. Il finit par s'endormir en sentant sur sa peau une épaisse fourrure chaude et douce.

Quand il se réveilla, il était allongé dans des draps propres. Son bureau avait disparu ainsi que sa chaise. A quelques mètres, se trouvait sa mère, assise très droite sur un tabouret. Elle était entrain de broder des papillons en fils d'arachnée lumineux sur un voile bleu nuit.



Elle fronçait légèrement les sourcils tant elle était concentrée, ses doigts piquant avec une virtuosité impressionnante.

La tête de Jonas semblait ne pas vouloir sortir de la brume qui l'enveloppait et son corps était recouvert d'un voile de sueur fort désagréable. En ouvrant les yeux, il essaya de se remémorer les dernières heures, mais c'était un chaos général dans sa mémoire.
Il posa le regard sur sa mère et il se sentit immédiatement rassuré. A son âge, c'était un peu honteux de l'admettre cependant. Il observa ses mouvements pendant quelques minutes, le temps pour lui de reprendre pieds totalement dans la réalité. Siglae avait toujours été douée de ses mains et enfant, il s'était délecté de la précision et de la beauté de chacun de ses ouvrages, ce qui lui avait valu quelques moqueries de Razzler, comme de bien entendu.

— Mère.

Sa voix lui sembla un peu trop rauque à cause de la soif qui le tenaillait. Il tenta de se redresser dans son lit, portant la main à son flanc pour s'assurer que la trace de la Morsure était bien là.

Siglae suspendit son geste et leva les yeux vers son fils. Ils étaient légérement rouges à cause des poils qu'elle avait touché quand elle avait refait le lit de son fils.

— J'ai préparé un bouillon de courge des mers. Ton père a insisté pour qu'il soit pimenté afin d'évacuer la sueur. En veux-tu un bol ou penses-tu que ton estomac pourrait à nouveau... exprimer son mécontentement, dit elle avec une légère grimace.

Elle regrettait parfois de ne plus avoir de nourrice à domicile mais Jozzler avait insisté sur le fait que cela porterait préjudice à la réputation des garçons. Il lui avait promis une domestique dès qu'ils vivraient dans un quartier plus stable. Les deux dernières s'étant stupidement noyées, il avait fallu verser une pension pendant la période de deuil à la famille, les privant ainsi des services d'une remplaçante.

Sa main glissa de son flanc à son estomac alors que les mots de sa mère ravivaient ses souvenirs sur ce point.

— J'en veux bien, merci.

Il s'assit et cala son dos contre le bois de la tête de lit sans fioritures. D'un geste du bras, il essuya la sueur désormais froide sur son front, écartant ses cheveux blonds par la même occasion. Puis, il reporta son attention sur son bras, y passant sa paume lentement comme s'il cherchait à retrouver une sensation.

— Cela a marché, n'est-ce pas ? Je suis comme Père maintenant ?

Il savait que jamais, il ne pourrait égaler Jozzler Wolferstan, du moins pas avant de nombreuses années et énormément de travail. Cependant, s'il était désormais un loup-garou, c'était un premier pas dans cette direction.

Silae se leva et reposa avec délicatesse son ouvrage sur le tabouret.

— Vous avez hérité de son ascendance en effet, approuva-t-elle avec détachement.

Elle avait espéré que son fils soit pleinement un Fae mais le reconnaitre aurait désavoué son mari et elle se faisait un devoir de toujours le soutenir. Elle avait longtemps espéré après la naissance de Jonas avoir une fille qui aurait suivi sa voie mais le temps passait et elle commençait à renoncer à cette idée.

— Je vais chercher votre collation. Razzler n'est pas encore... en état mais il me relaiera plus tard. Ne cherchez pas à vous lever même si vous vous sentez mieux, c'est une recommandation de votre père.

Jonas sentit son coeur s'alléger d'un poids à la confirmation de sa mère. Il lui avait bien semblé sentir de la fourrure au cours de sa fièvre, mais il avait eu besoin de l'entendre de la bouche de quelqu'un.

— Merci, Mère.

Quand elle fut sortie, Jonas laissa sa tête reposer contre le mur, ses yeux se perdant vers le plafond. Un sourire étira ses lèvres. Il était un loup-garou maintenant ! Il se sentait tellement fier ! Pourtant, il n'avait pas l'impression d'avoir réellement changé.
Il ressentit le besoin de voir son nouvel état de ses propres yeux. Razzler lui avait dit que cela venait naturellement, mais Jonas savait que cela dépendait également du cycle des marées. Ne sachant pas vraiment comment faire, il se concentra et tenta de s'imaginer en train de muter.

Il resta un moment sans que rien ne se passe. Puis il vit une ligne de fourrure apparaitre le long de son bras. Elle était longue blanche et blonde.

Il se sentit pris d'une euphorie aussi surprenante qu'inhabituelle, lui à qui on avait enseigné le contrôle de soin depuis l'enfance. Il frôla du bout des doigts cette ligne de poils à la couleur plus claire que ses cheveux. Finalement, le blanc de la fourrure de son père n'était peut-être pas uniquement due à son âge.
Ignorant sa fatigue, Jonas poussa l'expérience un peu plus loin, souhaitant voir s'il pouvait faire changer sa main.

Sa main se couvrit de poils mais elle resta humaine dans un premier temps finalement à force de concentration il se changea entièrement en loup-garou, faisant grincer sinistrement son lit.
Il ne se sentait pas différent mais plus fort et imposant.

Il se sentit également plus confiant, comme si pouvoir être comme son père et son frère faisait de lui un être plus complet. Emporté par tout ceci, il voulut se lever, oubliant le conseil parental, et, évidemment, se vautra par terre. Cela le fit rire alors que ses griffes laissaient des marques sur le plancher.

Siglae resta saisie sur le seuil avec son plateau. Elle cligna des yeux un moment avant de demander :

— Sauriez-vous prendre une apparence plus convenable ?

Sa voix, son odeur et une foule de détails qu'il ne connaissait pas de sa mère assaillirent les sens de Jonas.

Il resta immobile à la fixer, humant l'odeur du bouillon et celle de sa mère. Il arrivait à en discerner toutes les fragrances, et pas uniquement celle de son savon ou de son parfum préféré. C'était quelque chose de plus intime, plus personnel... et qui se mêlait à celle du bois de la maison, du feu brûlant dans l'âtre au rez-de-chaussée ou encore du cuir des bottes de son père. Cet afflux d'informations était fortement déroutant mais aiguisait également sa curiosité.
Il fallut que Siglae répète sa demande pour que celle-ci arrive enfin au cerveau de Jonas, en même temps qu'il se rappelait que sa mère était allergique aux poils. Il s'écarta un peu et tenta d'inverser sa mutation.

Il n'avait pas de mal à sentir également les émotions qui se dégageaient de sa mère : de l'anxiété, de la gêne et peut être quelque chose de plus indéfinissable encore.
Alors qu'il cherchait à muter dans l'autre sens, les battements de son coeur, la course de son sang, sa respiration autant que son odeur et celle de ses vêtements mêlés au bouillon ne cessaient de le troubler.
Finalement, il termina sous sa forme humaine, le souffle court et une migraine commençant à poindre.