FB#15 - Andrea & Kole

Lucy eut la pensée incongrue qu'elle ne devrait pas l'inquiéter, mais elle la chassa aussitôt pour rester concentrée sur son mensonge.

— Plus de peur que de mal.

Il la regarda suspicieux mais finit par hausser les épaules. Il faudrait qu'il songe à renforcer sa surveillance.

— Bien envoies-moi les deux en même temps.

Quitte à avoir la migraine, autant en finir le plus vite possible.
Il lui tendit un badge pour entrer au défilé de mode ayant lieu en fin de semaine.

Elle se leva pour le récupérer. Ses doigts frôlèrent un instant ceux de Costa dans le mouvement, mais ce fut tout.

— Je te tiens au courant.

Aller à ce défilé était une véritable chance. C'était dommage que ce soit entaché par cette mission. Elle allait devoir jongler avec le côté professionnel et le reste. Le côté positif était qu'elle pourrait voir de belles choses et porter une jolie robe. Il fallait bien se raccrocher à quelque chose.

Il approuva d'un hochement de tête mais ne la regarda pas sortir. Il parvenait malgré tout à voler quelques moments ainsi. Il était certain que d'une manière ou d'une autre Lana le surveillait, s'assurait qu'il devait souffrir de cette situation et que cette douleur le rendait un peu plus comme elle rêvait qu'il soit.
La manière dont elle avait développé ses équipes depuis son alliance avec ceux qu'elle nommait "le réseau des ombres" ne pouvait que le pousser à la prudence.
Il soupira et se forgea à nouveau une carapace pour affronter les deux harpies suivantes.


Lucy avait passé des nuits compliquées. Marcia et Ivy l'avaient emmenée dans le négatif berlinois et cela avait été très différent de ces autres sauts. Tout d'abord parce qu'il régnait à Berlin une hierarchie qu'elles n'avaient vu nul part ailleurs. La ville était détruite mais elle était sous la coupe de trois groupes importants :
Befehl qu'elles avaient traduit par L'ordre. Un reste de militaire organisé comme une milice, cherchant à sécuriser le terrain et qui ne tolérait pas que trois civiles se baladent en pleine nuit. Cependant leur paternalisme avait viré quand Ivy les avaient emmené plus loin et ils n'avaient pas hésité à leur tirer dessus.
C'est ainsi qu'elles étaient finalement tombé sur le deuxième groupe, ripostant au Befehl à coup de cocktail molotov et de pouvoirs : Geknackt. Arborant un look de hells angels avec des crêtes colorées et des tatouages, ils ne leurs avaient pas semblé plus rassurant que les premiers. Pourtant le seul parlant anglais, leur avait assuré que contrairement aux "Vampir" ils ne leurs piqueraient pas leur Neya. Mais comme il s'était fait décapité avec un cercle de métal sorti mystérieusement d'un mur, Marcia les avait vite ramené dans le positif avant qu'elles ne puissent approfondir le sujet.
Les deux nuits suivantes n'avaient pas été mieux, sûrement parce que Lucy avait eu une crise d'éternuement dans un entrepôt remplis de farines et que tout le monde était devenu hystérique obnubilé par l'envie de manger quand il ne prenait pas une autre personne pour du poulet frit géant.
Du coup, Ivy avait décrété que sa petite récréation mode en serait une aussi pour elles.
L'endroit était plus accueillant que tout ce qu'elle avait pu voir ces dernières quarante huit heures. L'Hôtel était classieux et les invités tous habillés avec soin et une bonne dose de "m'as-tu-vu".

Lucy était ravie de retrouver un environnement familier et dans une soirée qui ne devrait pas se terminer dans le sang. Le monde de la mode pouvait être dur et cruel, mais il y avait peu de chance qu'on y décapite les gens en pleine réception. Du moins, elle l'espérait.
Afin d'oublier un peu ce qu'elle avait vécu dans le Négatif berlinois, elle s'était fait plaisir dans les boutiques de créateurs, mettant à mal ses économies en s'offrant une jolie robe courte noire et dorée assortie aux chaussures italiennes qu'elle étrennait pour l'occasion. Dans la pochette assortie se trouvait la liasse de billets que Marcello lui avait donnée.
Elle n'avait pas parlé d'Andrea Cotton à Ivy et Marcia, pas plus qu'elle n'avait évoqué la question de Marcello sur les recrues italiennes. Intérieurement, elle espérait que l'homme ne se présenterait pas à ce défilé. L'aborder pour le ramener chez les Eveillés la rendait nerveuse autant que cela lui déplaisait, et elle préférait se concentrer pour l'instant sur l'article et la vidéo qu'elle devait faire pour son blog.

Elle n'eut aucun mal à le repérer. Andrea était debout avec une coupe de champagne discutant avec une femme probablement un mannequin au vu de sa tenue et sa grandeur. Il affichait un sourire des plus charmant sans en faire trop pour autant. Cependant au vu de l'expression de la jeune femme, ce n'était pas nécessaire.
Andrea était assez grand, plutôt athlétique, portant un costume blanc de manière assez sport comme en attesté sa chemise noire légèrement ouverte et ses baskets montantes.

Lucy l'observa un instant et soupira en se disant qu'Andrea était aussi charmant en chair et en os que sur les photos. Ses yeux clairs et son sourire retenaient immanquablement l'attention. De plus, il savait s'habiller et il n'avait choisi que de la qualité, autant dans la coupe que dans les tissus.
Elle jeta un oeil discrètement aux alentours, histoire de vérifier que Marcello n'était pas dans les parages pour vérifier qu'elle obéissait bien à ses ordres.

Il y avait beaucoup de monde mais il ne lui sembla pas voir son responsable.
Elle reconnut plusieurs personnes qu'elle avait pu croiser au siège où elle avait travaillé et certains vinrent la saluer.
Le moment du défilé arriva et elle se trouva installée près de son ancienne collègue de la communication qui était partie l'année dernière et qui n'en finit pas de lui vanter sa nouvelle vie en Allemagne. Andrea n'était plus en vue et elle ne l'aperçut que bien plus tard alors que la soirée tirait à sa fin.
Il était seul près de l'entrée de l'Hôtel, consultant son téléphone portable en faisant tourner une cigarette éteinte entre ses lèvre.

Lucy l'avait oublié le temps du défilé pour se concentrer sur sa vie professionnelle et le plaisir de voir les nouvelles créations de la maison de couture. Elle se sentait regonflée à bloc, ravie d'avoir pu prendre quelques photos pour son blog, et avait déjà la trame de son futur article. Revoir Andrea la ramena à la réalité, mais elle ne pouvait pas faire comme si elle ne l'avait pas vu. Pour autant, elle ne se sentait pas l'âme d'une espionne et ignorait vraiment comment s'y prendre. Marcello avait dit qu'elle pouvait l'appâter avec l'argent, faire semblant de l'engager pour une obscure raison.
Quand quelqu'un s'excusa à côté d'elle, elle se rendit compte qu'elle était au milieu du chemin, comme une idiote. Elle prit une grande inspiration et avança vers Andrea, répétant en boucle comment se présenter à lui.

— Excusez-moi, c'est le dernier costume Dolce & Gabana que vous portez ?

Elle lui sourit légèrement, essayant de refouler sa nervosité.

Andrea quitta son écran des yeux pour les lever vers Lucy. Il la regarda un instant interloqué avant de regarder son costume. Il se demanda si c'était une véritable question ou si c'était une manière très maladroite de l'acoster.

— A vrai dire, je n'ai pas demandé à la vendeuse si c'était un ancien modèle qu'elle me vendait honteusement au prix de l'actuel, dit il avec un sourire.

Lucy lui rendit son sourire, mais il était évident qu'elle n'était pas à l'aise. A vrai dire, elle n'avait qu'une envie : tourner les talons et disparaître. Elle n'avait jamais été le genre de filles à prendre des initiatives vis à vis de la gent masculine. C'était toujours elle qui se faisait aborder, pas l'inverse. S'il avait été photographe ou mannequin, elle aurait su comment faire. Là, elle avait l'impression qu'elle allait se prendre les pieds dans le tapis rien qu'en ouvrant la bouche... Mais puisqu'elle avait commencé à parler de son costume, autant continuer. Elle pencha légèrement la tête de côté pour se concentrer dessus.

— Non. C'est vraiment le dernier. Je ne l'avais vu qu'en photo encore et sûrement pas porté de cette façon. J'aime beaucoup l'association avec les baskets.

De grande marque, elles aussi. Sûrement à peine sorties de leur boîte.

Mais à bien y regarder de près, elles ne semblaient pas si neuves, juste bien entretenues.

— Vous êtes styliste ? Demanda Andrea.

Il voyait bien qu'elle semblait plus focalisée sur ses fringues que sur sa personne.

— Oh non, je n'ai pas ce talent-là. Je tiens un blog, fit-elle en agitant son téléphone portable. Je travaille pour Vogue en même temps. Et vous ?

- Je suis juste curieux. Une de mes amies défilait ce soir et je suis venu voir à quoi ça ressemblait...
Il lui sourit.
- Vous avez un accent américain.

— On ne peut rien vous cacher, approuva-t-elle. ça ne fait que quelques semaines que je suis en Europe. D'abord Paris, Rome, et maintenant Berlin...

Elle rangea son téléphone dans son petit sac à main.

— Le vôtre me fait penser à l'Angleterre, non ?

En tous cas, cela ressemblait fortement à celui d'Ivy.

— Andrea Cotton, dit il en lui tendant la main.

Elle la lui serra après une petite hésitation.

— Lucy Turner.

Et maintenant ? Qu'était-elle censée faire ? Lui dire qu'elle ne l'avait pas abordée par hasard ? Lui proposer la liasse de dollars dans son sac ? Elle regrettait vraiment que Marcia et Ivy ne soient pas là pour prendre les choses en main...

Andrea relâcha son poignet dans une très légère caresse de son doigt. Il pencha légèrement la tête en l'observant.

— Souhaitez vous prendre un verre, Lucy Turner ? proposa-t-il en désignant une table dans le côté bar de l'hôtel.

Il était assez curieux de voir qui on lui avait envoyé, maintenant qu'il avait dépisté son Neya.

Elle jeta un oeil dans la direction qu'il indiquait, hésitant encore. Si elle était honnête, elle était un peu curieuse de cet homme et pas à cause de son physique. Et puis, peut-être que si elle était suffisamment courageuse, elle préviendrait Andrea pour qu'il disparaisse avant d'être obligé de rentrer chez les Eveillés. Elle ne voulait vraiment recruter personne. Et tant pis si Marcello lui faisait la leçon !

— Avec plaisir.

Andrea l'accompagna jusqu'à une table et lui tira une chaise avant de venir s'assoir en face d'elle.

— C'est la première fois que vous parcourez l'Europe.

Cela ne semblait pas tout à fait être une question.

— Cela se voit tant que ça ?

Elle appréciait ses manières, mais n'était toujours pas complètement détendue.

— Je n'avais jamais quitté ma ville natale avant. Autrement que pour des vacances, je veux dire.

Un instant, son regard perdit de son éclat alors qu'elle repensait à la dernière fois qu'elle avait quitté Akron, pour passer Noël avec Perry et sa famille, mais elle refoula le souvenir pour sourire à Andrea.

— Vous ne semblez pas si excitée que ça par ce changement, nota-t-il.

Il la regarda avec attention. Ce qui était compliqué, c'était de faire le choix dans toutes les informations qui s'agitait devant lui.

— Je ne suis pas une grande aventurière, admit-elle en haussant les épaules.

C'était même tellement le contraire ! Les choses auraient été très différentes si elle était venue en Europe seulement pour le travail ou le tourisme, elle en était persuadée.

— Et vous êtes seule ici ? Demanda-t-il en jouant avec une chevalière à son doigt.

Il commanda un simple coca quand le serveur se présenta.

Elle demanda un Perrier citron et revint à Andrea pour lui répondre.

— Hé bien, oui. Et vous ?

Elle avait hésité. Elle ne mentait pas tout à fait : elle était bien seule dans cet hôtel. Et puis, les filles pensaient qu'elle n'était venue là que pour le défilé. Si seulement...