FB#15 - Andrea & Kole

Avril

Lucy avait appris à partager la vie de Marcia et Ivy pendant de longues semaines en Europe. Un étrange quotidien s'était mis en place. Le passage en France avait été le plus agréable pour elle car elle avait pu faire un stage dans deux établissements différents : un journal de mode célèbre et une maison de haute-couture. Elle avait pu aller danser dans des boites de nuit parisienne. Marcia sirotait des verres et Ivy dansait comme si plus rien n'existait. Les deux avaient une tendance certaine à évacuer la population masculine autour d'elles.
La nuit, elles allaient dans le négatif et la version française s'était révélée franchement dangereuse avec des bandes se livrant à des affrontements sanglants. La peur que Lucy avait pu éprouvé avait déclenché des crises d'éternuements qui avaient rendu tout le monde malade d'angoisse... Leurs assaillants qui avaient fui mais également Marcia et Ivy. Lucy avait eu un mal fou à gérer la situation. La première menaçant de flinguer tout ceux qui approcheraient et la seconde, roulée en boule à même le sol.
Finalement, Costa après une série d'entretien avec chacune avait décidé de les envoyer en Italie.
Rome s'était averée une ville agréable où Lucy avait fait les magasins avec délectation, elle avait même réussi à relooker Marcia même si le lendemain elle s'était rhabillée de noir et de métal. Dans le négatif, elles avaient trouvé deux personnes dotés de dons : celui des langues et un de télépathie. C'était Alex qui les avait reconduit à Akron, souhaitant gérer cela seul. Si elle n'était pas hostile, elle restait assez froide avec Lucy, en opposition avec Marcia qui était toujours prête à la réconforter en passant un bras autour de ses épaules.
A son retour, elle avait surpris une dispute entre Marcia et elle, la première accusant Ivy de ne pas avoir conduit les recrus à Akron. Comme toujours cela avait été bruyant avant de se changer en deux jours de mutismes puis sans trop savoir comment elles se parlaient à nouveau comme si de rien n'était.
Finalement, elles avaient eu un appel de Costa pour les convoquer en Allemagne à Berlin pour une nouvelle mission.
Elles attendaient dans le café d'un grand hôtel, Marcia surveillant les fesses de tout ceux qui passaient, surtout les filles mais Ivy disait toujours que c'était probablement parce qu'elle en était totalement démunie qu'elle était fascinée par celles des autres. Elle ne voyait pas d'autres explications. Marcia inlassablement lui répondait par un doigt d'honneur.
Ivy était entrain de consulter son téléphone portable.

— Je suis sûr qu'il va encore rester une plombe en entretien avec toi... Histoire de te cuisiner encore pour savoir si on est fidèles à la Cause, dit elle en regardant Lucy.

Il était évident que malgré l'hostilité de Lucy envers Costa, Ivy avait tendance à penser qu'elle pouvait les espionner.

Lucy reposa la petite cuillère de son grand café crème en haussant les épaules.

– Je n'ai rien à lui dire de toute façon. Combien de fois il faudra que je te le répète pour que tu le crois ?

Mais elle posait cette question pour la forme. Elle n'en voulait pas à Alex d'être méfiante, même si c'était parfois dur à supporter. Heureusement que Marcia était plus abordable !
Lucy prit une gorgée de sa tasse en regardant devant elle. Sa vie avait changé du tout au tout ces derniers mois et elle ne cessait de lui faire faire les montagnes russes. Cela dit, Akron ne lui manquait pas vraiment. Plus rien ne l'y attendait et elle avait emmené avec elle les deux personnes à qui elle tenait le plus : Félix dans sa cage de transport et Perry dans sa tête. La plupart du temps, elle arrivait même à conserver une activité professionnelle satisfaisante. Ivy et Marcia ne comprenaient pas, mais elle tenait à son blog sur la mode, peut-être parce qu'elle se raccrochait malgré tout à l'espoir de retrouver une vie normale un jour.

Alex haussa les épaules.

— T'as peut être rien à lui dire mais visiblement il ne pense pas la même chose...

Marcia reporta leur attention sur elles.

— C'est pas la faute à Lulu s'il en a après ses fesses.
— Comme si c'était le seul, maugréa Alex.

Costa s'avança vers leur table.

— Mesdames. Je suis ravi de constater que vous êtes toutes vivantes et en pleine forme, dit il avec un sourire sarcastique ne laissant aucun doute sur ce qu'il avait pu entendre.

Lucy soupira en lui jetant un coup d'oeil avant de détourner les yeux. Elle n'aurait pas été contre éviter de revoir Marcello aussi vite. Il avait le don de réveiller chez elle des pensées toutes aussi ambivalentes les unes que les autres. Elle le détestait toujours pour avoir envoyé Perry se faire tuer et, si les filles avaient raison sur ses intentions envers elle, elle était bien décidée à lui dire d'aller se faire voir. Mais d'un autre côté, elle s'était surprise à ne pas être aussi dérangée qu'elle aurait du lorsqu'il l'avait introduite à Paris pour qu'elle puisse effectuer ses stages. Sans compter qu'elle avait rêvé de lui une ou deux fois et qu'elle s'était sentie honteuse à son réveil vu le contenu de ses songes.
Elle baissa les yeux vers son café crème. Peut-être qu'elle aurait dû commander quelque chose d'alcoolisé s'il fallait qu'elle affronte un nouvel entretien interminable ?

— Puisque ça risque d'être long, je vais commencer par Lucy. Restez quand même dans le secteur, ce serait dommage que vous loupiez les prochaines consignes, dit il en les regardant tour à tour.

Marcia s'étira.

— Oh Lucy pourra nous raconter chui sûr...

Costa n'attendit pas et se dirigea vers l’ascenseur.

— Pfff un entretien dans une chambre d'hôtel, ce type est de plus en plus louche.... Tu devrais lui éternuer à la figure, dit Ivy à Lucy.

La jeune femme hocha la tête.

— Je me suis entraînée pour, fit-elle en se levant, abandonnant son café puisqu'on ne lui laissait pas le choix.

En vérité, Lucy ne maîtrisait toujours pas son pouvoir. Ce n'était pas faute d'essayer, mais il restait encore trop tributaire de ses émotions. Elle en avait parlé un peu avec Marcia après l'incident de Paris et il était évident qu'elle avait beaucoup d'efforts à faire pour y arriver. Sauf qu'elle ne savait pas comment faire... Ce qui était dommage car elle aurait bien endormi Marcello pour qu'il lui fiche la paix.

— Ce sera vite fait, ajouta-t-elle avant de rejoindre le jeune homme.

Ivy n'avait pas tort : un entretien dans une chambre d'hôtel... Lucy espérait qu'il n'allait rien tenter.

Dans l'ascenseur, Costa resta silencieux appuyé contre le miroir à observer Lucy. Toute cette situation le mettait en colère. Et cette colère, il pouvait la changer en froideur. Il savait que ça l'aidait de le prendre pour un sale con, il pouvait au moins lui offrir ça à défaut d'avoir pu la protéger lui-même plus efficacement.
Une fois que les portes s'ouvrirent, il sortit le premier, la bousculant légèrement juste pour le plaisir de la toucher.
Il déverrouilla sa chambre et lui ouvrit la porte pour qu'elle entre la première dans une suite claire et fonctionnelle avec une vue imprenable sur le parc verdoyant de Berlin.

Elle entra, la boule au ventre. Elle aurait aimé pouvoir afficher la confiance en soi d'Ivy ou de Marcia, mais elle était loin d'être comme elles et elle ne le serait probablement jamais. Elle avança jusqu'à la baie vitrée en évitant de penser qu'avant, elle aurait été conquise par les lieux, le standing... La vue était plus que jolie et lui évitait de regarder Marcello. Sans s'en apercevoir, elle avait attrapé son pendentif pour jouer avec entre ses doigts, un geste que Costa lui connaissait bien. Elle finit par se tourner vers lui. Plus vite il parlerait, plus vite ils en auraient fini.

Il ôta son blouson et le posa sur le dossier d'une chaise. Il se rendit à la petite machine à café pour lui en préparer un qu'il posa sur la table basse devant le fauteuil. Il se lança ensuite dans la préparation du sien avant de venir s'installer avec sa tasse sur le canapé en face.

— Alors ? L’Italie ? Demanda-t-il en la regardant.

Elle prit place tout en se demandant ce qu'il voulait réellement savoir. Elle avait vraiment du mal à le cerner. Parfois, comme lorsqu'il l'avait présentée à cette maison de haute-couture parisienne, elle avait l'impression qu'il souhaitait préserver sincèrement sa carrière. Mais peut-être n'était-ce qu'une tactique pour mettre la main sur ses fesses, comme disaient les filles... Pour sa part, elle trouvait que c'était se donner beaucoup de mal pour rien.

— Rome est une très belle ville. Dommage que nous n'y soyons pas restées plus longtemps.

Elle avait adoré faire les boutiques là-bas. Elle avait acheté une merveilleuse paire de chaussures qu'elle ne mettrait probablement jamais, mais cela lui avait fait du bien, comme le temps qu'elle avait passé à relooker Marcia. Cela avait été vraiment amusant et elle ne désespérait pas de recommencer. Avec Ivy, c'était plus compliqué.

— Tu t'es sentie en sécurité là bas ? Demanda-t-il.

L'Europe lui semblait être un terrain de jeux dangereux, ils n'y étaient pas en position de force même si Lana semblait penser que ce n'était qu'une question de temps.

Lucy croisa les jambes. Aujourd'hui encore, elle portait un jean. Il ne l'avait plus vue en jupe ou en robe depuis longtemps, à part lorsqu'elle effectuait son stage à Paris. En dehors de cela, elle était fidèle à elle-même : un maquillage parfait avec un rouge à lèvres marqué, une coiffure impeccable. Ivy trouvait cela idiot, mais pour Lucy, il était important de conserver ses rituels de beauté quotidiens tant que c'était possible. Cela faisait partie de son équilibre pour ne pas craquer. C'était un peu son armure à elle.

— Dans le Positif, oui.

L'Europe se reconstruisait peu à peu, tout comme les Etats-Unis. La crise sanitaire avait laissé la place à une crise économique, mais Rome ne lui avait pas paru dangereuse, du moins là où elles avaient été.

— Le Négatif... C'était moins pire qu'à Paris, fit-elle en haussant les épaules.

Cela n'avait pas été un moment de plaisir pour autant. Il était vrai que le Négatif ressemblait plus à ce que Ima lui avait dépeint qu'à ce qu'elle avait imaginé en écoutant Perry, mais c'était le chaos partout et cela, elle avait encore du mal à s'y faire. A Rome, au moins, elle n'avait pas déclenché de catastrophe en éternuant. Pas que mettre à terre des types mal intentionnés avait été un problème de conscience, mais jamais plus elle ne voulait mettre les filles dans cet état d'angoisse comme à Paris.

— Tu n'as pas eu d'autres effets de ton pouvoir ? Demanda-t-il après avoir vidé sa tasse café.

Il la posa sur la table basse et reporta son attention sur son visage.

Lucy aurait vraiment préféré qu'Ivy et Marcia soient avec elle. Rester seule avec Marcello la mettait mal à l'aise et ce n'était pas seulement à cause des réflexions des autres sur ses potentielles intentions. Il y avait toujours quelque chose de dérangeant à le voir, à l'entendre, à l'observer. Une part d'elle soufflait parfois que sa froideur ou ses façons de petit chef ne cadraient pas et y réfléchir lui donnait mal au crâne. Elle se rassurait en se répétant que cela venait de ses fantasmes idiots qu'elle avait développés avant la mort de Perry, mais elle s'inquiétait que cela perdure dans le temps.
Elle reposa sa tasse de café sans y avoir touché et croisa les mains sur ses genoux, ses doigts frôlant son bracelet Cartier qu'elle ne quittait jamais.

— Rien de plus que la dernière fois... soupira-t-elle en détournant les yeux.

Elle ne comprenait pas pourquoi elle n'arrivait pas à améliorer son pouvoir ou, du moins, la façon de le déclencher. Après l'incident de Paris, elle avait l'impression d'être pire qu'une maladie contagieuse.

— Je ne sais pas comment faire pour que ça fonctionne mieux. Car ça doit forcément fonctionner autrement, murmura-t-elle, frustrée.

Elle se mordit aussitôt la lèvre inférieure en se traitant d'idiote. Avouer cette faiblesse devant Marcello n'était pas la meilleure des idées. Si son pouvoir ne servait à rien, si elle n'arrivait pas à le maîtriser, alors elle finirait en petite méduse dans un aquarium. Une fraction de seconde, elle se demanda d'où elle sortait cette image, comme si elle avait déjà vu du Neya flotter dans l'un d'entre eux.

— En travaillant. C'est comme tout.

Il aurait voulu lui dire les choses plus gentiment. Sauf qu'il fallait qu'elle soit forte pour affronter Lana et peut être un jour s'en libérer.
Il se leva et fit quelques pas pour ne pas la dévisager plus longtemps. Il savait bien qu'Ivy et Marcia racontaient qu'il voulait la coller dans son lit mais ça valait mieux que la vérité. Il suffisait que Lana sache pour ses sentiments. Il ne souhaitait pas que les deux autres se servent aussi de Lucy pour leurs magouilles quel qu'elles soient.

Lucy leva les yeux au ciel à sa réflexion, mais c'était sa faute. Qu'est-ce qui lui avait pris de réfléchir à voix haute devant Marcello ?

— C'est quoi la suite ? On est là pour combien de temps cette fois ? demanda-t-elle en le suivant des yeux.

Encore une ambivalence. Elle le détestait, ne voulait rien avoir à faire avec lui, et il fallait toujours qu'elle le cherche du regard.

— Ça va dépendre de vous... Si vous êtes bonnes ou si vous foirez tout.

Il fixa un point perdu dans la forêt qui s'épanouissait au coeur de la ville.

— Il y a une recrue qui nous a échappé, il y a six mois. Il est ici à Berlin. Il faut le convaincre de revenir à Akron.

Il alla chercher une pochette sur un buffet et le tendit à Lucy.

— Je veux que tu t'en occupes toute seule.

La jeune femme récupéra ce qu'il lui donnait et l'ouvrit pour découvrir le contenu.
Ce que disait Marcello lui prouvait une nouvelle fois qu'on n'échappait pas aux Eveillés et cela lui serra le ventre. C'était dommage pour cet homme...

— C'est quoi son pouvoir ?

Elle aurait voulu demander pourquoi il lui confiait cette mission à elle seule, mais ce devait être un test. De loyauté, de capacité...

— S'il est malin, il ne te le révélera pas. Mais si tu le découvres, je serai heureux de le savoir.

Dans la pochette, il y avait plusieurs photos d'un jeune homme à la chevelure blonde, au physique de jeune premier qui s'habillait avec beaucoup de goût. Si c'était des photos de surveillance, on avait l'étrange sensation qu'il posait sur la plupart, un sourire charmeur sur les lèvres et une expression de manequin.



— Andrea Cotton est un escroc. Tu l'attraperas avec de l'argent. Il sera sûrement au défilé News Week, vendredi soir au Grand Hôtel.

Lucy commençait à se méfier des hommes au physique de mannequin, mais elle reconnaissait sans mal qu'Andrea Cotton était plus que "pas mal" et, bien évidemment, il en jouait. Cela se voyait. Elle jeta un oeil à Marcello avant de revenir aux photos.

— Ok.

Elle n'avait jamais fait ce genre de choses et Costa pouvait deviner qu'elle n'était pas à l'aise à l'idée de piéger quelqu'un pour les Eveillés, fut-il un escroc. Pour autant, elle n'en dit pas un seul mot.

Dans la pochette, elle trouva également une importante liasse de billets.

— Cela pourra te servir. Embauche-le pour quelques obscures raisons comme de l'espionnage industriel. Ce n'est pas un type violent. Tu peux aussi lui dire la vérité. C'est toi qui le fait selon ton ressentis.

Andrea Cotton avait disparu après que son beau-frère l'ait retrouvé, c'était sûrement lié mais il avait toujours aimé travailler avec eux alors Costa ne doutait pas vraiment de la facilité de cette mission.

Elle remit les photos et l'argent dans la pochette.

— Il ne va pas s'enfuir en courant s'il sait que je viens pour le recruter ?

— Je ne sais pas. Je ne suis pas certain que tu puisses faire partir quelqu'un en courant de toutes manières et il n'aura pas de mal à le deviner, dit Costa en haussant les épaules.

Il se tourna vers Lucy et lui demanda avec une hésitation.

— Est-ce que vous avez trouvé des recrues en Europe ?

Elle le regarda longuement en silence alors que le souvenir de la dispute entre Ivy et Marcia revenait à sa mémoire. La première avait-elle vraiment fait ce dont la seconde l'avait accusée ? Et si oui, où les avait-elle emmenés si ce n'était pas auprès des Eveillés ?

— Oui, répondit-elle finalement. Mais ça n'a pas fonctionné. C'est ma faute, je me suis blessée et il a fallu rentrer.

Elle espérait que ce n'était pas un test, qu'il n'allait pas lui dire qu'elle mentait et que Ivy avait bien ramené le télépathe et le pro des langues. Elle pourrait toujours arguer que les deux autres ne l'avaient pas tenue au courant.

— Blessée ? Rien de grave ? Demanda-t-il visiblement contrarié.