#29 - Theropode

Haley fut soulagée de voir la tenue. C'était simple, autant dans la coupe que dans l'absence de fioritures, mais pratique.
Elle jeta un oeil à Rachel, détaillant les particularités de sa peau.

— Ce ne sont pas des tatouages, non ?

— Non. C'est comme un système veineux sauf qu'au lieu de sang, c'est une toxine qui coule dans les vaisseaux et qu'on discerne sur ma peau. Les cercles contiennent une concentration de cette substance. Ceux qui se terminent par une cicatrice ont déjà été prélevé, expliqua-t-elle.

Sa tenue à elle était vert olive alors que celle de Haley était plus ambre-marron.

La jeune femme regarda les orbes avec plus d'attention.

— Il y en a beaucoup...

Elle se demanda si c'était douloureux et si Rachel l'avait fait elle-même.

— Pas assez au goût de certains. Les orbes se situe souvent sur des points de connexion... Sur le bras j'en ai une au poignet, une près du coude, deux sur l'avant bras... Au total sur mon corps j'en possède vingt quatre. Mais cela peut être plus ou moins selon les périodes de ma vie et mon exposition au soleil.

Elle ajouta :

— Si on coupe bien avec une lame de rasoir, cela ne fait pas plus mal qu'une coupure de papier et la toxine cicatrisera la plaie d'elle-même. L'orbe disparaitra et il ne restera que l'ancien sillon vert sur ma peau et la cicatrice de la coupure.

Haley fit un geste vers une orbe, mais s'arrêta avant de toucher Rachel. Cette histoire de toxine lui rappelait certains documentaires sur les insectes ou les grenouilles qu'elle avait aperçus. Il n'y avait pas d'orbes, mais elle se souvenait d'une grenouille d'Amazonie qui déclenchait un poison contre les prédateurs.

— C'est un mécanisme de défense ? Cette toxine, je veux dire.

— Tu ne risques rien en le touchant. Si on prend la substance, c'est comme une drogue. Cela peut être très agréable mais si on en prend trop cela arrête le coeur.

Elle ajouta en lassant la robe :

— La zone où on la prélève a une incidence sur la concentration. Mais une fois l'orbe tranchée, il faut tout garder dans un flacon car elle ne peut plus retenir ce qu'elle contenait.

Elle n'y toucha pas plus. Ce n'était pas qu'elle avait eu peur, mais qu'elle avait trouvé cela malpoli de toucher Rachel comme si elle était une bête curieuse.
Elle se déshabilla à son tour.

— Tu vas peut-être me trouver un peu cash ou que je me mêle de ce qui me regarde pas, mais de toutes façons, je vais le penser alors... Toutes ces coupures... Est-ce que c'était volontaire ? Tu n'es pas obligée de répondre, bien sûr.

— Cela dépends des situations. Mais depuis mon dernier fleurissement, j'ai été libre d'utiliser la toxine pour mon propre libre arbitre. Dans le passé, c'était parfois mes maitres qui le prélevaient. Mais de manière général, je n'ai pas eu souvent à me plaindre. On me considère comme précieuse alors on me respecte.

Elle ajouta en disant :

— Les femmes de mon peuple possède un corps qui augmente la jouissance des mâles. La plupart finisse dans des bordels mais ma capacité à entendre les pensées m'a donné un usage plus étendu.

Haley s'arrêta alors qu'elle finissait de passer le pantalon et regarda Rachel avec attention. Il y avait des termes qui lui déplaisaient fortement dans ce qu'elle disait et elle ne le cacha nullement dans ses pensées.

— Pourquoi c'est toujours la même chose ? soupira-t-elle.

Pourquoi fallait-il que les femmes soient souvent reléguées au rang d'objet que les hommes possédaient ? Elle se souvint d'Olivia, contrainte de se prostituer ; des femmes de l'Ordre, sans aucune volonté ni nom ; de la façon dont les soldats de l'Ombre l'avaient regardée dans ce bureau, comme un morceau de viande ; de Grayson qui l'avait considérée comme sa propriété... Elle avait toujours prôné l'indépendance des femmes, l'égalité avec les hommes, mais après ce qu'elle avait vu et vécu, c'était encore plus vivace.

— Ce n'est pas la bonne question. Il ne s'agit pas de sexe. Il s'agit de rapport de force, dit elle en la regardant. L'esclavagisme, l'extermination ou l'oppression s'est fait sur des peuples entiers. Une personne arrive et veut vous dominer. Vous ne pouvez la combattre à cause de votre âge ou de votre condition physique, il prend l'ascendant. Mais dans le lot vous trouverez des personnes qui l'acceptent parce qu'être le dominé n'est pas forcément le plus inconfortable.

Elle haussa les épaules.

— Les choses ne sont jamais aussi simples qu'elles le paraissent.

Haley passa la robe et commença à la lacer.

— Bien sûr que non, mais...

Mais sans doute qu'elle jugeait trop les situations avec un prisme en noir et blanc. On le lui avait déjà reproché par le passé, mais elle était tellement à fond sur ce qu'elle considérait comme des injustices qu'elle n'arrivait jamais à dépasser cela.

— Dans beaucoup d'espèce humanoïde, les femmes peuvent vous sembler être la première cible, avec les enfants et les handicapés. Pas parce qu'elles ont un vagin, cela dit. Mais il y a d'autres espèces où elles sont dominantes et croyez-moi, cela vous déplaira autant...

Peut être que finalement, elle comprendrait mieux Vinicius qu'elle ne l'avait pensé.

La jeune femme se regarda dans le miroir pour voir ce que donnait sa nouvelle tenue.

— Je vous crois, fit-elle en remettant ses cheveux en place. J'ai discuté parfois avec des féministes acharnées et je n'ai pas plus apprécié que les discours machistes.

Elle se tourna vers Rachel avec un léger sourire.

— ça me va ?

Rachel hocha la tête.

— C'est très bien, approuva-t-elle.

De son côté, Liam avait découvert la tenue habituel d'un homme dragon et force était de constater qu'il fallait dévoiler son torse dans cette mode.
Le pantalon et les bottes étaient assez confortable, de même que l'immense manteau aux manches larges ouvert sur le devant. Il semblait être tissé dans une matière assez similaire au cachemire avec des dessins géométriques très petits et décoratifs.

Ce genre

— C'est mieux avec des chaines et des écailles, dit Rylke en le désignant.

Liam soupira en se regardant dans le miroir. La tenue ne lui déplaisait pas, si ce n'était qu'il y avait un peu trop de motifs sur le manteau à son goût, étant plutôt habitué à choisir des vêtements sobres et passe-partout. Le fait de dévoiler son torse aurait sans doute été moins problématique s'il avait eu quelques semaines de plus pour gommer ses poignées d'amour et muscler ses abdos, mais cela ne dérangerait certainement que lui, comme d'habitude.

— Les chaînes, je ne sais pas, mais des écailles, je suis d'accord.

Il se demandait s'il finirait par en développer et de quelle couleur elles seraient. Il n'était cependant pas pressé de devenir un dinosaure et de passer sa journée à manger des feuilles placidement en évitant les carnivores.

Rylke ôta une des deux chaines qu'il avait pour la mettre à Liam.

— Sérieux, tu peux pas ne pas en avoir au moins une... C'est comme si tu reconnaissais devant tout le monde que t'étais pas un vrai mec, dit il avec un soupir.

Pour sa part il avait retrouvé un pantalon près du corps et une tunique baillant aussi largement. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas habillé à la mode reptilienne et il voyait que les vêtements valaient du pognon.

— Heu... Merci, répondit Liam, surpris par son geste.

Cette chaine autour du cou lui rappelait celles des rappeurs dont il avait toujours trouvé le look débile. Sur lui, cela paraissait totalement incongru, du moins de son point de vue.

— C'est juste esthétique ou ça a une signification particulière ? demanda-t-il à Rylke.

— Tu les reçois au moment important de ta vie. Mais y a pas un code qui dit quand tel ou tel truc est important, dit il en haussant les épaules.

Il ajouta en le regardant.

— Un mec aussi vieux que toi devrait en avoir au moins trois ou quatre...

— Je vois.

Liam se retint de lui faire remarquer qu'il n'avait que 29 ans, et encore pas tout à fait, mais pour un ado de 15 ans, c'était sûrement très vieux.

— Tu as eu les tiennes quand ?

Rylke le regarda comme si c'était un détraqué.

— Hey... C'est super intime ce genre de question...

Il sortit du vestiaire en râlant quelque chose sur les "glaives qui fendent la brume et ceux qui pourfendent les chaires".

— Mais...

Liam soupira, laissant ses bras claquer le long de son corps. Evidemment, il avait posé la question qu'il ne fallait pas. Cela n'aurait pas dû l'étonner. Du coup, il n'avait pas eu l'occasion de remercier Rylke pour son geste.
Il remonta ses lunettes sur son nez et glissa son briquet et son paquet de cigarettes dans la poche du pantalon avant de rejoindre les autres.

Le type en costard était parti et Simon venait de passer un long manteau sur sa tenue urbaine. Visiblement, il n'avait pas voulu se changer complètement.
Vinicius termina son verre et se leva, glissant sur son nez des lunettes de soleil en un seul bloc et dont le verre miroir irisé empêchait de voir ses yeux.
Simon regarda Liam.

— J'aurais choisi une tenue plus discrète mais ça te va bien, dit il.

Le jeune homme lui sourit légèrement, soulagé que Simon ne le trouve pas ridicule.

— Merci. Je n'aurai pas été contre un truc plus discret aussi, mais bon..., fit-il avec auto-dérision pour une fois.

Il ne savait pas quoi faire de ses mains, habitué à les coller dans ses poches.

— Cette fois, on y est.

Il craignait un peu de franchir ce pas tout en ayant hâte de le faire. Une part de lui aimait l'idée d'enfin fouler le sol du monde auquel il appartenait par moitié, de le découvrir de ses propres yeux, de se sentir connecté à quelque chose alors qu'il ne sentait jamais à sa place ici. L'autre, justement, craignait que cette connexion qu'il avait ressentie avec tout ce que Simon lui avait fait découvrir ne soit qu'une illusion.

Simon hocha la tête. Même s'il ne savait pas encore ce que cette expédition allait donner. Il n'avait pas vraiment pensé qu'ils seraient aussi nombreux.
Les filles les rejoignirent enfin.

— Allons-y, dit il en prenant la direction du bureau.

Ils prirent un long couloir et s'arrêtèrent devant les toilettes. Une vieille femme attendait devant un petit bureau et il y avait un panier devant elle. Simon sortit une bourse en cuir de la poche de son manteau. Il déposa sept pièces d'une monnaie où était frappé une écaille.
Elle les saisit et posa sa main sur la porte.

— Bon séjour, leur dit elle.

Liam ne fut guère étonné par le processus qui lui rappelait celui du couloir de l'administration interdimensionnelle. Combien de fois avait-il pu passer à côté d'un passage de ce genre dans sa vie ?
Il jeta un oeil à sa soeur qui paraissait toute petite à cause de Grut juste derrière elle. Pour une fois, elle ne disait rien, regardant la vieille femme et la porte avec intérêt. Elle n'était pas aussi à l'aise qu'elle aurait voulu l'être, mais elle donnait bien le change. Elle tourna son regard vers Rylke un court instant, repensant à Riton et Olivia qui avaient projeté d'acheter des visas pour chacun d'entre eux afin de retourner dans le monde des Dragons. Ce monde dont la reine les avait exilés ou vendus, si elle en croyait Simon. Seul Rylke allait pouvoir y mettre les pieds et elle espérait que c'était bien ce qu'il fallait. Elle détourna le regard et croisa celui de son frère. Elle s'inquiétait pour lui aussi. Il avait beau avoir pris un peu d'assurance, elle craignait qu'il ne soit pas de taille à affronter ce qui les attendait bien qu'elle en ignore tout elle aussi.